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C'est un des effets de la force de l'observation dans Burns que son humour n'a pas de sensibilité, du moins en ce qui concerne les hommes. Disons plutôt qu'il contient plus de sympathie que de sensibilité. Celle-ci est encore une intervention de l'auteur. Les personnages de Sterne, par exemple, sont vrais , mais ils sont toujours vus à travers son émotion. Quelque chose, fiît-ce quelque chose d'aussi précieux qu'une larme, s'interpose entre eux et nous. L'humoriste sent peureux, plutôt qu'il ne sent avec eux, et, en quelque manière, il se substitue à eux. L'observation de Burns est plus détachée de lui et l'abandonne tout à fait. Ce reste de personnalité est rompu. Ses personnages vivent hors de lui, dans une pleine indépendance. Il n'ont rien de plus que leur propre sympathie pour eux-mêmes, comme cela se trouve chez les grands producteurs, et comme cela est, après tout, la vraie réalité. C'est un signe décisif de force et la marque d'une observation qui se jette au cœur des choses. La sensibilité est forcément moindre, et remplacée par cette sorte de cordialité amicale que les grands créateurs ont pour leurs personnages.

Cependant , à l'égard des animaux , l'humour de Burns est tout diffé- rent, et devient au contraire d'une sensibilité exquise. Quand il a devant lui une de ces pauvres créatures muettes qui souffrent et s'éton- nent obscurément de souffrir , il s'adoucit , perd son rire bruyant , devient pensif, presque mélancolique, et s'emplit de pitié jusqu'au bord des larmes. Ses pièces à sa brebis mourante , Maille , ou à %ine iSoms dont la charrue a détruit le nid, sont des modèles de ce genre délicat d'humour qui se sert de la raillerie pour oser montrer son émotion. C'est ce trait qui a surtout frappé Carlyle, pour qui la sensibilité est nécessaire à l'humour. « Nous ne parlons pas, dit-il, de son audacieuse et souvent irrésistible faculté de caricature , car cela est de la drôlerie plutôt que de l'humour ; mais une gdîté beaucoup plus tendre réside en lui et paraît çà et là en touches passagères et admirables, comme dans son adresse « la Souris, à sa Jument, ou son élégie sur la pauvre Mailie. Cette dernière pièce peut être regardée comme son plus heureux effort dans ce genre. Dans ces pièces, il y a des traits d'un humour aussi délicat que celui de Sterne, cependant tout à fait différent, original, singulier, l'humour de Burns. ^ » Peut-être préférerions-nous la pièce à la Souris ? Quoi qu'il en soit , ces pièces , aussi délicieuses que les plus touchants passages de Sterne, leur sont , à nos yeux , supérieures , par quelque chose de plus réel et de plus simple. Peut-être peut-on expliquer cette différence entre l'humour de Burns envers les hommes et envers les bêtes par le fait que l'observation à l'égard des animaux est toujours beaucoup plus une œuvre d'invention. Leurs modes d'être nous étant

1 Carlyle. Essay on Burns.