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11 était, sous ses habits de paysan et dans sa vie obscure, un des quelques individus supérieurs de son époque. Il devait souffrir, et avait plus d'une fois souffert, d'être traité d'après son costume grossier et son nom de paysan. Mais son cœur conservait un sourire et une gratitude aussi profonde que son orgueil pour celui ([ui avait vu en lui une âme humaine de premier ordre, et l'avait traité en ami.

Quand il avait écarté les oripeaux, et ainsi mis à nu les hommes vérita- bles, cachés derrière les personnages sociaux, il estimait les caractères en eux-mêmes. Pour les apprécier, il les décomposait, et les réduisait à leurs principaux éléments constitutifs. Il dégageait la faculté maîtresse, comme on dirait aujourd'hui, groupait les parties constituantes, dans leurs proportions. Il les notait, pour ainsi dire, avec leurs coefficients, dans une sorte de formule chimique. En parlant de Dugald Stewart, il dit : « Je crois que son caractère, partagé en dix parties, se divise ainsi : quatre parties Socrate, quatre parties Nathaniel, et deux parties le Brutus de Shakspeare ' ». En parlant d'une jeune lille rencontrée sur les Borders : « Elle unit trois qualités qu'on trouve rarement ensemble : une pénétra- tion aiguisée et solide ; de l'observation et de la remarque malicieuse et spirituelle ; et la modestie féminine la plus douce et la moins affectée ^ ». De son libraire Creech : « Le personnage que je mentionnerai ensuite, mou digne libraire, M. Creech, est un caractère étrange et multiple. Ses passions dominantes, du côté gauche, sont : une extrême vanité et quelques-unes des plus innocentes modifications de l'égoïsme ^. »

Pour atteindre les esprits, on voit qu'il s'était attaché à l'étude des visages, si difficile et si attirante. Trouver quelque ordre dans la confusion toujours mouvante de physionomies innombrables ; discerner les analogies inconnues qui rassemblent et assortissent les traits autour de certains types ; reconnaître « ce i^'apport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et l'air de la personne » ; découvrir ou tout au moins démêler la signification des traits, les rapports de leur forme avec certains caractères, et de leur jeu avec certains sentiments ; saisir çà et là sur des physionomies des indications qui serviront à en interpréter d'analogues, mais de plus enveloppées ; deviner par l'expression permanente des traits, les habitudes d'un esprit, et par leur expression présente, ses mouvements; demander aux rides elles-mêmes des renseignements et des confidences ; chercher dans tout des signes imperceptibles, et comme les lettres éparses d'un alphabet mystérieux et infini qui donnerait la clef et la lecture des âmes ; voilà ce que suppose un pareil examen. Travail incroyablement délicat qui demande la finesse des organes et la rapidité de pénétration, et en même temps immense. La science commence à peine

1 To John Mackenzie, ist Nov. 1786.

2 Border Tour, May 5th, 1781.

3 The Edinburgh Journal.