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saisit les arcs, quelques flèches volent, et voilà la bagarre lancée. Elle se répand et tourhillonne. Il y a là une suite de strophes pleines de tumulte, de coups, de clameurs, d'un entrain superbe. En trn clin d'oeil, toute une populace se rue dans la querelle. Ils arrivent de tous côtés, à folles enjambées, accourent se l'aire casser la tête ; ils ont des bâtons, des fourches et des fléaux ; ils frappent à tort et à travers , les gourdins s'abattent sur les échines, les coups tintent sur les crânes, les barbes sont pleines de sang, les corps jonchent le sol ; deux bergers se battent à coups de tête et se cossent comme des béliers ; d'autres vont chercher le brancard d'une charrette et poussent dans le tas, frappant aux flgures et défonçant les dents ; les femmes sortent, accourent, piaillent, glapissent, se précipitent dans les bousculades ; les enfants les y suivent ; toute cette cohue se cogne, s'étreint, s'arrache, se huche, trébuche, roule, grouille, s'entasse, s'écrase, dans une trépignée générale. Le tocsin sonne si fort que le clocher en balance. Et tout d'un coup, sans qu'on sache ni comment, ni pourquoi, la fureur tombe, la bataille s'arrête, les gens éreintés se calment, se regardent, ahuris et penauds de s'être entre-tués. C'est une peinture vigoureuse et pourtant comique d'une de ces folies de coups qui s'emparent des foules, à la fin des foires et des marchés. Pendant quelques instants, une frénésie de combat affole cette tourbe ; c'est la décharge de nerfs grossiers surexcités par une journée de fête ^

Ce sont deux jolis morceaux , pleins déjà de toutes les qualités qui marquent cette branche de la poésie écossaise. Ils sont lestes, solides, nerveux, solidement appnyés sur la vie, avec le sens d'un gro- tesque de proportions moyennes qui tient le milieu entre l'observation et la caricature^. Ce sont deux tableaux flamands. Non pas des Téniers, ils n'en ont ni la touche lumineuse et légère, ni les couleurs claires, gaies, se jouant dans une harmonie argentée. Ils sont plus frustes, d'un pinceau moins souple, mais plus vigoureux. On les comparerait volontiers aux tableaux du vieux Pierre Breughel. Il recherchait lui aussi les foires et les kermesses, les scènes de gaîté naïve, semées d'ivrognes trébuchants, et de couples qui dansent. Il les a représentés, du premier coup, avec une bonne humeur primesautière, un entrain et une solidité d'observation, que nul de ses successeurs n'a dépassés. On le surnomma pour cette raison Breughel le Drôle, Breughel le Jovial, et le Breughel des Paysans. Il est

1 II est probable que la première de ces deux pièces, qui ne fut publiée qu'en nSô, était inconnue à Burns, mais la seconde était couramment populaire. Allan Ramsay l'avait imitée, Le Rev John Skinner, l'ami de Burns, en écrivit une traduction en vers latins. Il y avait longtemps d'ailleurs que Pope avait dit :

One likes no language but the Fairy Queen, A Scot will fight for Christ's Kirk on the Green.

2 Voir Veitch. History and Poelry of the Scotlish Borders, p. 313.