Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/101

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talent poétique du soupirant amoureux, la moindre défaillance pouvait être fatale à ce dernier ; ce n’est pas la banale loyauté dans l’amour qu’on exige de lui, c’est la loyauté avant l’amour. C’est celle-là que Rigaut se vante d’avoir fidèlement observée ; il le rappelle à sa dame dans la chanson qui suit, en lui reprochant doucement, humblement, suivant les habitudes des troubadours, son insensibilité. Il s’y déclare son serviteur fidèle, comme dans la chanson précédente ; sa dame est la « maîtresse » qui peut traiter son amant à son gré, comme un seigneur fait son vassal.

Comme la clarté du jour surpasse toute autre clarté, ainsi vous surpassez, dame, toutes les autres femmes du monde, par votre beauté, votre mérite et votre courtoisie.

C’est pourquoi je ne cesse de vous servir et honorer de tout cœur, semblable au voyageur qui, passant sur un pont étroit, n’ose s’écarter de sa route.

Qui suit un droit chemin ne s’égare pas ; aussi suis-je complètement rassuré. Si auprès d’Amour la loyauté devait avoir quelque prix, je suis celui qui devrais trouver pitié plus que le plus loyal ami du monde. Car en moi il n’y a ni mensonge ni tromperie et vous n’y en trouverez jamais…

Je vous ai servie, dame, depuis l’heure où je vous ai vue ; mais quel fruit me revient-il si vous me trompez ? À vous sera la faute, à moi est le dommage ; comme vous en aurez une part (car tous les savants du monde disent que le dommage va à celui qui tient la seigneurie) vous devez m’en garantir, dame ; car je suis votre serviteur, je me reconnais pour tel et vous pouvez me traiter comme il est d’usage de les traiter.

Cependant Rigaut de Barbezieux aurait été le héros, suivant la légende, d’une aventure peu hono-