Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/113

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voudrions de ne pas donner quelques extraits du peu de chansons qui nous restent de lui. Il ne distingue pas dans l’amour, comme le fait Marcabrun ; il n’y en a pour lui qu’une sorte, la plus pure et la plus idéale ; c’est celui dont il brûla pour la dame qu’il n’avait jamais vue et qu’il ne devait jamais voir, sauf, si nous en croyons la légende, à ses derniers moments.

Voici d’abord en quels termes il s’adresse à l’amour personnifié : « Amour de terre lointaine, pour vous j’ai le cœur tout triste ; et je ne puis trouver de remède, jusqu’à ce que vienne votre appel. Jamais Dieu ne forma de plus belle femme, ni chrétienne, ni juive, ni sarrasine, et celui-là est bien nourri de manne, qui obtient quelque part de son amour. »

La plupart des chansons de Jaufre Rudel sont pleines d’allusions à cet « amour lointain » ; une est tout entière consacrée au développement de ce thème ; le mot « lointain » y apparaît deux fois à la rime dans chaque strophe de sept vers ; on dirait une sorte de refrain ; l’impression produite par ce procédé est remarquable.

Lorsque les jours sont longs en mai, il m’est bien doux d’entendre de loin le chant des oiseaux ; et quand je m’éloigne je me souviens d’un amour lointain. Je vais le cœur triste et la tête basse, si bien que chants ni fleur d’aubépine ne me plaisent pas plus que l’hiver glacé.

Jamais je n’aurai joie d’amour, si je n’en ai de cet amour lointain ; car je ne sais, ni près ni loin, femme plus belle ni meilleure ; son mérite est si parfait que je voudrais, pour elle, vivre dans la misère, là-bas, au royaume des Sarrasins…