Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/114

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Je partirai triste et content, quand j’aurai vu cet amour lointain ; mais je ne sais quand je le verrai, car nos terres sont trop lointaines ; il y a bien des défilés et bien des chemins ; je ne suis pas devin, mais que tout aille comme il plaira à Dieu.

Je crois en Dieu, c’est pourquoi je verrai cet amour lointain ; mais en échange d’un bien qui m’en arrive, je souffre un double mal, car cet amour est si loin ; ah ! pourquoi ne suis-je pas là-bas un pèlerin dont ses beaux yeux verraient le costume et le bâton !

Que Dieu, qui fit toutes les créatures et qui forma cet amour lointain, me donne le pouvoir, que j’ai au cœur, de voir bientôt cet amour, réellement, en un lieu commode, si bien que chambre et jardin me paraissent constamment un palais.

Celui qui m’appelle curieux et amoureux d’amour lointain dit la vérité ; car nulle autre joie ne me plairait autant qu’une joie qui viendrait de cet amour de loin. Mais mes désirs sont irréalisables ; car ma destinée est d’aimer sans être aimé[1].

On a pu remarquer dans cette pièce un mélange assez étrange de sentiments amoureux et religieux. C’est Dieu qui a formé cet amour lointain au fond du cœur du poète, puisqu’il est l’auteur de toutes choses ; c’est à Dieu que notre troubadour demande la réalisation de son rêve ; le poète est un croyant, un fidèle qui voudrait aller en pèlerinage en Terre Sainte (et il prit part sans doute à deux croisades) ; Dieu exaucera ses vœux.

Ce mélange d’amour et de religion, cette tendance au mysticisme érotique, une certaine obscurité qui règne dans toute la pièce, ont même fait croire à un critique contemporain que cet amour de terre loin-

  1. Appel, Prov. Chr., p. 55.