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taine n’était autre qu’un amour mystique pour la mère de Dieu, pour la Vierge[1]. La poésie courtoise se transforma en effet facilement en poésie religieuse : nous verrons les étapes de cette évolution et plus d’une pièce consacrée à la Vierge est écrite en termes bien plus équivoques que celle de Jaufre Rudel.

Mais il y a de sérieux motifs pour repousser l’hypothèse dont il vient d’être question ; un des principaux est qu’à l’époque où a été écrite cette pièce la transformation de la lyrique courtoise n’avait pas encore commencé. Il faut attendre plus d’un demi-siècle — cette pièce ayant été composée sans doute avant 1150 — pour voir le début de cette transformation.

Ce qui est plus intéressant, dans cette chanson, c’est qu’elle nous montre comment est née la légende dont le biographe provençal s’est fait l’écho. Jaufre Rudel eut l’occasion d’aller en Terre Sainte comme croisé. De ce fait on rapprocha l’élément romanesque qui se rencontre dans la plupart de ses chansons, c’est-à-dire cet amour pour la plus belle personne du monde, que le poète n’a jamais vue, qu’il ne verra que si Dieu le lui permet, et qu’il ne verra même pas, car sa destinée est d’aimer sans être aimé. C’est du rapprochement d’un fait historique et d’un élément romanesque qu’est née la légende. Mais on peut dire que le poète a tout fait pour la créer, et elle est un indice bien curieux de ce que nous appellerions la « mentalité » du temps.

Avec Bernard de Ventadour, contemporain de

  1. M. C. Appel, in Archiv für das Studium der neueren Sprachen, tome CVII.