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Mais il y en avait un autre encore plus relevé. Giraut de Bornelh est, parmi les troubadours, un des premiers et des plus éminents représentants de la poésie morale. Il semble que son œuvre appartienne à deux périodes différentes de la poésie des troubadours. Rappelons-nous que cette poésie est essentiellement « courtoise », elle vit des sentiments chevaleresques ; les moindres changements dans les mœurs du temps devaient produire sur elle un effet fatal. Giraut de Bornelh a été témoin des débuts de la décadence, ou du moins de la transformation qui s’est produite dès la fin du xiie siècle. « Autrefois, dit-il, on aimait les chansons, on se plaisait aux danses et aux lais. » « Où sont passés les jongleurs que l’on voyait si bien accueillis ?… J’ai vu de gentils petits jongleurs, bien chaussés et bien habillés, aller par les cours pour faire l’éloge des dames ; ils n’osent parler maintenant[1]. »

Tout est changé autour de lui. Les grands seigneurs ne sont plus tournés vers la poésie et la joie ; leurs instincts grossiers ont repris le dessus ; la guerre, le pillage, sont devenus leur passe-temps favori. Tels sont les spectacles auquel paraît avoir assisté Giraut de Bornelh. Il en aurait été victime, si l’on en croit la biographie : car le vicomte de Limoges aurait brûlé et pillé sa maison et lui aurait volé ses livres, sa bibliothèque. Le spectacle de ces désordres et de ces violences lui a inspiré quelques poésies remarquables par la sincérité de l’inspiration.

C’est la même sincérité qui règne dans les

  1. M. W. I, 201.