Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/150

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engagé ; nous saurons, quand nous l’aurons joué, auquel des fils appartiendra la terre.

Mais le jeune roi mourut tout au début de la campagne (1183). Cet événement fut, de la part de Bertran de Born, le sujet de deux plaintes funèbres qui sont parmi les plus sincères que l’ancienne poésie des troubadours nous ait laissées. Une traduction à peu près littérale de quelques strophes ne peut en garder qu’un pâle reflet.

Si tous les pleurs, les deuils et les tristesses, si toutes les douleurs, les malheurs et les misères qu’on ait jamais entendus dans ce siècle dolent étaient mis ensemble, ils sembleraient tous légers auprès de la mort du jeune roi anglais qui met dans la douleur les jeunes et les vaillants et qui laisse le monde obscur, sombre et ténébreux, privé de joie, plein de deuil et de tristesse.

Dolents et tristes et pleins de chagrin sont restés les soldats courtois, les troubadours et les jongleurs gracieux ; ils ont trouvé dans la mort un guerrier trop cruel qui leur a enlevé le jeune roi anglais, auprès duquel les plus généreux étaient avares…

Mort cruelle et douloureuse, tu peux te vanter d’avoir enlevé au monde le meilleur chevalier qui fût jamais ; car tout ce qui fait la réputation de l’homme se trouvait chez le jeune roi anglais ; il vaudrait mieux, s’il plaisait à Dieu, que lui vécût plutôt que tant d’autres qui n’ont jamais procuré aux vaillants que deuil et tristesse.

Implorons la pitié de celui qui voulut venir au monde pour nous sauver de notre misère et qui reçut la mort pour notre salut, demandons-lui comme à un seigneur doux et juste, de pardonner au jeune roi anglais, lui qui est le vrai pardon ; qu’il le mette à côté de ses nobles compagnons, là où il n’y eut et où il n’y aura jamais ni deuil ni tristesse.