Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après la mort du jeune roi, Bertran de Born se vit assiégé dans son château d’Hautefort par Richard Cœur de Lion. Il se défendit mollement et se rendit à merci. Sa reddition aurait été, d’après un de ses biographes, le sujet d’une scène touchante que le vieux chroniqueur raconte ainsi.

Monseigneur Bertran fut appelé avec tout son monde à la tente du roi Henri et celui-ci le reçut fort mal et lui dit : « Bertran, Bertran, vous avez dit que jamais encore vous n’aviez eu besoin de la moitié de votre sens ; il me semble qu’aujourd’hui il vous le faudra bien tout entier. — Sire, dit Bertran, il est vrai que je l’ai dit et je n’ai dit que la vérité. » Et le roi lui dit : « Alors vous me faites l’effet de l’avoir complètement perdu maintenant. — Sire, dit Bertran, je l’ai perdu, en effet. — Et comment ? » dit le roi. — « Sire, dit Bertran, depuis le jour où le vaillant roi, votre fils, est mort, j’ai perdu le sens, le savoir et la connaissance. » Le roi, en entendant Bertran lui parler en pleurant de son fils, sentit l’émotion lui étreindre le cœur, et le coup fut si fort qu’il se trouva mal.

Quand il fut revenu de son évanouissement il s’écria en pleurant : « Ah ! Bertran, Bertran, vous avez bien raison d’avoir perdu le sens à cause de mon fils, car il n’y avait pas d’homme au monde qu’il aimât plus que vous. Et moi, par amour pour lui, non seulement je vous fais grâce de la vie, mais je vous rends vos biens et votre château et j’y ajoute avec mon amour et mes bonnes grâces, cinq cents marcs d’argent pour les dommages que vous avez éprouvés. »

Dante ignorait sans doute la légende de cette touchante réconciliation, quand il décrivait l’horrible supplice de Bertran de Born.

Pardonné par le roi d’Angleterre, Bertran devint son fidèle allié ; cependant il ne poussa pas le