Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
que ces médisants truands travaillant contre moi ; leurs médisances ne m’effraient pas ; bien plus, j’en suis dix fois plus gaie… Ces gens-là sont semblables au brouillard qui s’épand et fait perdre au soleil ses rayons[1].

Il semble cependant que Béatrix avait tort de garder vis-à-vis des médisants sa gaie et sereine tranquillité ; ils réussirent à mettre la brouille entre elle et le comte d’Orange ou du moins ils y contribuèrent. Deux des chansons de Béatrix se rapportent à cette seconde phase du roman. Voici la traduction d’une des deux.

Je chanterai ce que je n’aurais pas voulu chanter ; tellement celui que j’aime me cause de chagrin. Je l’aime d’amour parfait ; mais auprès de lui ne me sont d’aucun secours ni pitié, ni courtoisie, ni beauté… Je suis trompée et trahie comme si j’étais coupable envers lui.

Ce qui me réconforte, ami, c’est que je ne commis jamais envers vous aucune faute, en aucune manière ; car je vous aime plus que Seguin ne fit Valence, et il me plaît beaucoup, ami, que je vous surpasse en amour ; puisque vous êtes le plus vaillant, pourquoi vous, qui êtes si doux pour les autres, pourquoi vous montrez-vous si dur pour moi en paroles et en actions ?

Je suis bien étonnée, ami, que votre cœur soit si dur, et j’ai sujet de m’en plaindre. Il n’est pas juste qu’une autre femme vous enlève à mon amour… Rappelez-vous quel fut le commencement de cet amour ; Dieu veuille que je ne sois pour rien dans notre séparation…

Vous devriez avoir égard à mon mérite et à ma naissance, à ma beauté et plus encore à mon cœur si parfait ; c’est pourquoi je vous mande cette chanson pour vous porter mon message : je veux savoir, mon bel ami, mon doux ami, pourquoi vous m’êtes si dur et si cruel ; est-ce par orgueil ou par antipathie ?

  1. M. W. I, 88.