Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/164

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de ce genre et en effet toute une partie de ses poésies est composée d’après cette nouvelle conception.

Le sentiment de sa valeur et de sa supériorité poétique se montre avec éclat dans une curieuse composition[1] qui est le premier essai de satire littéraire dans la poésie des troubadours. Pierre d’Auvergne y cite une bonne douzaine de poètes contemporains et il les gratifie à mesure de quelques épithètes peu flatteuses, mordantes en général, quelquefois cyniques et grossières, On retrouve dans cette satire un écho vivant des sentiments qu’un grand poète du temps pouvait avoir pour ses confrères en poésie ; ces sentiments ne sont nullement charitables.

La vie de Pierre d’Auvergne ressemble à celle de la plupart des troubadours. Une de leurs habitudes — presque une nécessité — était de courir le monde, le monde un peu étroit où s’exerçait leur activité. Pierre d’Auvergne séjourna quelque temps en Espagne. Il y visita la cour de Sanche III de Castille ; c’était un roi chevaleresque ; on l’appelait, dit un chroniqueur du temps, « le père des pauvres, le protecteur des veuves et des orphelins, le justicier des peuples[2] Mais ce n’étaient pas ces qualités qui attiraient les troubadours : Sanche n’aurait pas été un prince parfait s’il n’avait connu l’art de donner largement, royalement, à tous les quémandeurs, grands seigneurs castillans ou troubadours, qui venaient à lui : cela aussi était une vertu chevaleresque.

Ce fut sans doute le même motif qui attira Pierre

  1. C’est la poésie célèbre Chantarai d’aquestz Trobadors, Zenker, no XII. Un troubadour postérieur, le Moine de Montaudon, a imité cette satire.
  2. Roderic de Tolède, ap. Zenker, p. 26.