Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/167

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« Même avant de le voir il m’a toujours plu ; je ne voudrais pas en avoir conquis qui fût de plus haute naissance.

« Le bon amour est semblable à l’or, quand il est épuré ; il s’affine de bonté pour celui qui le sert avec bonté ; et croyez que l’amitié chaque jour s’améliore…

« Doux oiseau, quand viendra le matin, vous irez vers sa demeure et vous lui direz en clair langage de quelle manière je lui obéis. » Et l’oiseau est revenu très vite, bien renseigné et parlant volontiers de son heureuse aventure[1].

Ce récit — ou plutôt cette petite comédie — est des plus poétiques. D’autres troubadours ont employé les oiseaux comme messagers d’amour : les hirondelles, les perroquets et les étourneaux ont eu tour à tour cet honneur. Mais le rossignol que Pierre d’Auvergne charge de son message tient une place à part parmi ces personnages ailés. C’est un avocat habile, discret et disert, sachant choisir son temps pour ne pas surprendre ni étonner ; procédant sans brusquerie, par allusions voilées, par réflexions générales ; tâchant, suivant une formule chère aux rhétoriqueurs, de persuader plutôt que de convaincre. Et avec quelle joie et quelle rapidité ce messager ailé s’acquitte de sa mission ! C’est ce modeste personnage qui fait l’unité de cette poésie.

Il y a dans le cadre de cette petite composition, dans le récit, dans le plaidoyer de l’habile avocat, dans la réponse un peu mélancolique qu’il provoque un charme poétique tout particulier qu’on ne trouve pas souvent dans l’œuvre poétique de Pierre d’Au-

  1. Éd. Zenker, no IX. Sur « les oiseaux dans la poésie et dans la légende » cf. un article de M. Savj-Lopez, dans Trovatori et Poeti, p. 245. Un troubadour postérieur, Arnaut de Carcassés, a composé une nouvelle où un perroquet joue le principal rôle ; pour faciliter un rendez-vous d’amour entre son seigneur et une châtelaine il met le feu à la tour du château : pendant le désordre et le tumulte qui s’ensuivent l’entrevue a lieu. Le « perroquet » d’Arnaut de Carcassés est d’une éloquence insinuante et surtout d’une merveilleuse activité. Cette nouvelle est d’ailleurs l’École des Maris. L’auteur l’a écrite pour « reprendre les maris qui veulent surveiller leurs femmes et pour les avertir que la meilleure précaution est de leur laisser la liberté ». Cf. Bartsch, Chr., c. 259 et suiv. Sur les oiseaux messagers d’amour dans la poésie populaire cf. Savj-Lopez, op. laud.