Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puisque je suis revenu en Provence et que ma dame m’a pardonné, je dois faire une bonne chanson, au moins par reconnaissance…

Comme je n’ai jamais commis de faute, j’ai bon espoir que mon malheur se change en bien… et tous les autres amants pourront se réconforter en apprenant mon bonheur ; car avec un labeur surhumain je tire un feu clair de la froide neige et de l’eau douce de la mer.

Je m’abandonne tout entier en son pouvoir et elle ne me refusera pas ; car elle peut me vendre ou me donner à son gré.

Ceux qui blâment une longue attente ont grand tort ; car les Bretons ont maintenant leur Arthur en qui ils avaient mis leur espoir ; et moi, pour avoir longuement espéré, j’ai conquis une bien grande douceur, un baiser que la force d’amour me fit prendre à une dame, mais maintenant elle doit me le donner.

Sans avoir péché j’ai fait pénitence, j’ai demandé pardon sans avoir fait de tort… de la colère je fais sortir la bienveillance et des pleurs une joie parfaite ; je suis hardi par peur, je sais gagner en perdant et vaincre tout en étant vaincu[1]

Sa folie se manifestait de diverses manières. Quand son seigneur, le comte Raimon V de Toulouse, qui avait été si sympathique à la poésie, mourut, Peire Vidal n’exprima pas sa tristesse comme le commun des troubadours. Ceux-ci se contentaient d’ordinaire de composer en l’honneur de leurs protecteurs une plainte funèbre plus ou moins bien sentie. Peire Vidal, si nous en croyons la biographie, aurait fait couper la queue et les oreilles à tous ses chevaux ; il fit raser la tête à ses domestiques et leur ordonna de laisser pousser la barbe et les ongles. Tout ceci est-il bien authentique ?

  1. M. W. I, 224, Rayn., Ch., III, 321.