Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/171

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et Peire Vidal avait-il un tel train de maison qu’il pût se permettre ces folies ? On ne saurait l’affirmer ; mais il semble qu’il en fût bien capable.

Il aurait gardé longtemps ce deuil, jusqu’au jour où le roi d’Aragon, Alphonse II, vint en Provence. Il était accompagné de barons de haut parage, tous joyeux compagnons et amoureux de poésie ; Peire Vidal n’aurait pas su résister à leur amicale insistance et pour leur plaire il aurait écrit la chanson suivante.

J’avais quitté la poésie, de tristesse et de douleur ; mais puisque je vois que cela plaît au roi, je ferai une chanson nouvelle, que (mes amis) porteront en Aragon…

Je me suis donné à une telle dame que je vis de gloire et d’amour ; car en elle la beauté s’épure, comme l’or sur les charbons ardents. Comme elle agrée mes prières, il me semble que le monde est à moi et que le roi tient de moi ses fiefs.

Je suis couronné de joie parfaite plus que tout empereur, car je me suis enamouré d’une noble dame ; et je suis plus riche pour un ruban que dame Raimbaude me donne que le roi Richard avec Poitiers, Tours et Angers.

Je n’éprouve aucun déshonneur de m’entendre appeler loup, de m’entendre insulter par les bergers ni de me voir chassé par leurs chiens ; j’aime mieux les buissons et les bois qu’un palais ou une maison ; (pour elle) je vis avec joie dans la neige, dans la glace et le vent[1].

On a reconnu ici l’allusion à la fantastique anecdote rapportée dans sa biographie, et d’après laquelle, pour pouvoir approcher une dame appelée Louve, il se serait habillé en loup, aurait été poursuivi par des chiens et porté en piteux était au

  1. M. W. I, 226, Rayn., III, 324. Parn. occ., 185.