Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/172

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château de la Louve. Cette anecdote comme on voit n’est pas sortie tout entière de l’imagination du biographe ; Peire Vidal a contribué de son mieux à faire naître la légende.

Mais il eut bientôt l’occasion de satisfaire des goûts un peu différents de ceux qui animent d’ordinaire le cœur des poètes. Ce troubadour se sentait l’âme d’un héros ; et pour que nul ne l’ignorât, il ne manquait aucune occasion de s’en vanter. On croirait entendre souvent Bertran de Born, le grand baron poète, farouche et violent dans ses poésies guerrières.

Si j’avais un bon destrier, dit comme lui Peire Vidal, mes ennemis seraient bientôt à ma merci ; car ils me craignent plus qu’une caille ne fait un épervier ; ils ne donnent plus un denier de leur vie, tant ils me savent fier, courageux et vaillant…

J’ai fait les prouesses de Gauvain et de bien d’autres ; et quand je suis sur un cheval armé, je brise tout ce que je rencontre ; j’ai fait tout seul cent chevaliers prisonniers et à cent autres j’ai enlevé le harnais — j’ai fait pleurer cent femmes, j’en ai fait rire et amuser cent autres.

Quand j’ai revêtu ma double cuirasse, quand j’ai ceint l’épée, la terre tremble partout où je passe ; il n’y a pas d’ennemi si orgueilleux qui ne me laisse aussitôt sentiers et chemins ; tellement ils me craignent quand ils entendent mes pas.

En vaillance j’égale Roland et Olivier, et pour les femmes Bernard de Montdidier ; ma vaillance me donne la gloire ; souvent viennent vers moi des messagers avec un anneau d’or, avec des rubans blancs ou noirs, et avec de tels messages dont tout mon cœur se réjouit[1].

À cette époque les âmes héroïques ne restaient pas longtemps sans emploi. Et Peire Vidal s’embarqua

  1. Parn. occ., 187. Gauvain est le neveu d’Arthur dans les légendes bretonnes. Sur les légendes épiques chez les troubadours voir Birch-Hirschfeld, Ueber die den provenzalischen Troubadours bekannten epischen Stoffe, Halle, 1878. L’ouvrage est incomplet, mais il n’a pas été remplacé.