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avec Richard Cœur de Lion pour la Terre Sainte. Mais, en route, un séjour qu’il fit à Chypre lui fut fatal. Il s’y maria avec une Grecque ; son goût pour les armes et pour les beaux coups d’épée paraît s’être éteint, mais la folie des grandeurs reparut. On lui fit croire que sa femme était de sang impérial. Il prit le titre d’empereur, exigea que sa femme fût appelée impératrice, eut des armoiries et fit suivre un trône dans ses déplacements. Il aurait même eu l’intention d’armer une flotte pour aller conquérir l’empire. Combien de temps dura cette folie ? Dans quelle mesure sa femme la partageait-elle ? Et quelle part de vérité renferme encore cette anecdote ? C’est ce que nous ignorons ; on sait seulement que Peire Vidal passa une partie de sa vie, pendant la dernière période, en Lombardie et en Hongrie[1].

Ce serait une erreur de croire qu’il n’eut que des folies à son actif. Ce troubadour à l’humeur vagabonde et à la fantaisie déréglée était capable, à l’occasion, de poésie sincère et éloquente. Dans ses poésies politiques en particulier il montre un sens des réalités et des nécessités qui fait un singulier contraste avec ses chansons amoureuses. Ce fut en somme une nature de poète bien doué.

L’imagination et la fantaisie paraissent primer chez lui tous les autres dons ; mais ce sont là dons de poète et si même notre troubadour a fait passer un peu de cette fantaisie dans la réalité de la vie, c’est un charme de plus, du moins pour ceux qui ont à l’étudier.

  1. Per ma vida gandir
    M’en anei en Ongria
    Al bon rei N’ Aimeric
    On trobei bon abric.
    Raynouard, Ch., V, 342.