Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/185

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toulousain, Aimeric de Péguillan, exilé dans la Haute-Italie, exprime ainsi le contraste entre l’ancien temps et le nouveau : « Voici ce que je voyais avant mon exil : si par amour on vous donnait un ruban, aussitôt naissaient joyeuses réunions et invitations ; il me semble qu’un mois dure deux fois plus que ne durait un an, au temps où la galanterie régnait ; quel chagrin de voir la différence entre la société d’hier et celle d’aujourd’hui[1] ! »

Cependant un autre troubadour d’origine languedocienne, Raimon de Miraval, petit chevalier de la région de l’Albigeois, ne paraît pas s’être aperçu qu’un changement profond s’opérait autour de lui. La plupart de ses chansons amoureuses semblent avoir été écrites pendant la période la plus tragique de la croisade contre les Albigeois. Marié avec une poétesse, Raimon de Miraval, qui avait des relations avec les principaux seigneurs du pays, de Narbonne à Toulouse, aurait mené une vie fort insouciante et fort joyeuse et la société pour laquelle il écrivait n’aurait pas vécu différemment. Bien plus, ce troubadour au calme olympien aurait écrit ses chansons les plus gaies en pleine vieillesse : double motif d’étonnement et belle occasion de dépeindre l’insouciance et la frivolité de cette société méridionale qui ne songeait qu’à s’amuser et à « s’esbaudir » au moment où la guerre faisait rage autour d’elle.

Ne la calomnions pas trop ; elle a fort à se faire pardonner sans doute. Si elle a eu l’intention de défendre son indépendance, elle n’a pas eu la volonté

  1. Aimeric de Pégulhan, Gr., 34, Parn. occit., p. 171.