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va ensevelir le vaincu ; et qui purifie son cœur des mauvais désirs, cette victoire l’honore plus que la conquête de cent cités[1].

Voici, sous une forme différente, une autre attaque contre l’amour.

Je tiens pour fou l’homme qui fait alliance avec Amour ; car plus on s’y fie, plus on est malheureux. On pense se chauffer, on se brûle ; les biens d’amour viennent tard, les maux tous les jours. Les fous, les traîtres, les trompeurs, ceux-là, oui, sont bien en sa compagnie ; aussi n’y vais-je pas…

Pour moi je traiterai ma mie comme elle me traitera ; si elle me trompe, elle me trouvera infidèle ; et si elle va son droit chemin, je marcherai droit.

Jamais je n’ai tant gagné comme quand je perdis ma mie ; car en la perdant je me gagnai moi-même que j’avais perdu. On gagne peu quand on se perd soi-même ; mais quand on perd ce qui vous cause du dommage, c’est bien un gain, n’est-ce pas ?… Ah ! la douceur pleine de venin ! comme l’amour aveugle et dévoie l’homme qui place mal son amour et qui néglige ce qu’il devrait aimer[2] !

De cette chanson on pourrait rapprocher une autre où il nous livre peut-être le secret de ses sentiments hostiles à l’amour. « Si j’étais aimé ou si j’aimais, je chanterais quelquefois ; mais comme ce n’est pas le cas, je ne sais sur quel sujet chanter. Cependant je voudrais essayer une fois de voir comment je pourrais chanter mon amie, si j’en avais une. Je serais l’amant le plus parfait qui soit jamais né. J’ai aimé une fois et je sais comment vont les choses d’amour et comment j’aimerais encore[3]. » C’est la même évocation rapide et un peu mélancolique du passé qui

  1. Bartsch, Chr. Prov., col. 174.
  2. Parn. occ., p. 306.
  3. Mahn, Gedichte, no 1248.