Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/192

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fait dire à La Fontaine dans un mouvement semblable : « J’ai quelquefois aimé. »

Mais n’accordons pas aux chansons de Peire Cardenal plus d’attention qu’elles ne méritent ; c’est dans la satire morale et politique qu’il est vraiment supérieur. La satire n’était pas inconnue dans la poésie des troubadours et Giraut de Bornelh avait un des premiers cultivé ce genre. Mais elle prend chez Peire Cardenal plus de variété et plus d’ampleur.

Il juge avec une grande élévation de pensée, mais avec une sévérité extrême, la société de son temps ; il n’est point de vice, si grave soit-il, qu’il n’y reconnaisse. L’amour des richesses, la soif des jouissances, le triomphe de l’injustice, de la convoitise, de la fausseté, du mensonge, le relâchement des mœurs, sont ses thèmes favoris. Il les développe avec vigueur, souvent avec passion. Les grands seigneurs méridionaux qui se volaient et se pillaient mutuellement avec entrain au temps de Bertran de Born et de Giraut de Bornelh avaient par certains côtés des âmes de voleurs de grand chemin, de « routiers » ; mais ceux qui arrivèrent d’un peu partout, à la suite de Simon de Montfort, et qui prirent part à la curée finale valaient encore moins. On pense bien qu’ils n’ont pas échappé aux satires vengeresses de Peire Cardenal. La suivante donnera une idée du ton de ces satires.

On plaint son fils, son père ou son ami, quand la mort vous l’a enlevé ; mais moi je regrette les vivants qui restent en ce monde… quand ils sont menteurs, misérables,