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Et la théorie du pouvoir ennoblissant de l’amour nous est exposée dans toute son ampleur.

Je ne lui suis point encore assez soumis, car je pense encore aux viles actions ; qui veut le secours de ma dame ne doit pas se plaire au mal ; car elle n’y a jamais pensé. Et quand je considère ses grandes bontés, le grand et singulier honneur qu’elle m’a fait, quand je pense qu’elle me veut pour serviteur, je dois tenir mon cœur en respect.

Je dois le tenir en respect pour que ma volonté folle ne me fasse commettre aucune faute envers la belle que j’adore ; car je serai comblé de richesses si je suis aimé par elle ; donc je dois rester tout à fait maître de mon cœur, si de mauvais désirs lui viennent…

Car les belles actions conviennent au parfait amant ; et puisque j’aime la meilleure qui soit au monde, tous faits courtois me conviennent… Tout homme qui obtient l’amour de ma dame apprend d’elle à se conduire avec courtoisie et sincérité ; il ne se préoccupe de rien, n’a pas à flatter ses rivaux ni à craindre d’être supplanté par eux ; et s’il devient de ses amis intimes il montera en grande richesse…

Que ma Dame prie celui à qui tous les parfaits amants adressent leurs prières de faire de moi un amant parfait[1].

On n’a pas eu de peine à reconnaître au passage les traits les plus caractéristiques de la phraséologie conventionnelle des chansons d’amour. Les anciens troubadours attendaient le retour du printemps pour chanter leur dame ; l’amour ne paraissait, semble-t-il, qu’avec le renouveau de la nature ; c’était un amour incomplet ; celui qui anime notre poète éclate en toute saison.

L’amant, dans l’ancien temps, pouvait craindre les rivaux, les jaloux et les médisants ; il n’y a plus à

  1. Le troubadour Guiraut Riquier, p. 296.