Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/234

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exprime avec la discrétion, l’élégance et la courtoisie qui caractérisent la poésie des troubadours. C’est ce contraste qui est piquant ; les deux interlocuteurs ne parlent pas la même langue, au propre et au figuré. La Génoise rappelle le souvenir de son mari ; jamais un trait semblable ne paraît dans la poésie des troubadours, sauf dans les pastourelles. Le mari n’a ordinairement qu’un nom bien simple, le « jaloux » tout court. Quand on évoque son souvenir ce n’est que pour se moquer de lui. Évidemment cette Génoise dut paraître à Raimbaut de Vaquières bien peu au courant des choses de la galanterie[1].

À la cour de Montferrat il se retrouva dans un milieu plus instruit à ce point de vue. Et d’abord il y fut accueilli avec de grands honneurs. Le marquis l’arma chevalier et en fit son frère d’armes. À sa cour vivait sa sœur Béatrice ; Raimbaut s’enamoura d’elle, lui fit une déclaration et fut bien mieux accueilli que par la dame de Gênes. Mais laissons parler ici le biographe provençal.

Béatrice l’accueillait avec bienveillance ; et lui mourait de désir et de peur, car il n’osait lui faire une prière d’amour ni même faire semblant de l’aimer. Enfin, poussé par l’amour, il dit à Béatrice qu’il aimait une dame de grand mérite, qu’il était très familier avec elle, mais qu’il n’osait ni lui dire ni lui montrer son amour ; et il lui demanda, pour Dieu, de lui donner conseil. « Dois-je lui ouvrir mon cœur, ou mourir en cachant mon amour ? — Raimbaut, lui dit-elle, il convient que tout parfait amant qui aime une noble dame, éprouve quelque crainte à lui manifester ses sentiments. Mais je lui donne le conseil suivant : avant de se tuer, qu’il lui avoue son amour

  1. Chose piquante, ces vers italiens écrits par un poète provençal sont à peu près les plus anciens de la poésie italienne ; cf. Gaspary, op. laud., p. 48.