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absence très longue pendant laquelle les événements les plus tragiques avaient dévasté la « Marche joyeuse » [celle de Trévise], théâtre de ses aventures de jeunesse[1]. » La plupart des protecteurs ou des ennemis de Sordel étaient morts ; seule Cunizza restait, veuve de trois maris, et retirée en Toscane.

Sordel reçut des donations de Charles d’Anjou, mais après avoir été mis en prison par lui, pour une cause que nous ne connaissons pas. Ce fut même le pape Clément IV (d’origine méridionale et auteur d’un poème sur les Sept Joies de la Vierge) qui intercéda pour le poète vieilli. Sordel mourut sans doute en 1269 et probablement de mort violente.

Le poète est plus intéressant que le personnage. Ses poésies se divisent en sirventés politiques, sirventés moraux et chansons. Un des trois sirventés politiques a eu de son temps un grand succès : c’est une plainte funèbre sur la mort de Blacatz, grand seigneur de Provence, troubadour et protecteur des troubadours. En quête d’originalité, Sordel a pris au folklore un de ses thèmes les plus étranges, celui du cœur partagé communiquant sa vaillance à ceux qui en mangent une partie. Ici sont conviés à ce funèbre festin l’empereur romain, Frédéric II, le roi de France, le roi d’Angleterre, celui d’Aragon, le comte de Champagne, roi de Navarre, le comte de Toulouse et le comte de Provence. Voici une strophe de cette étrange composition.

Que le premier à manger du cœur (car il en a grand besoin) soit l’empereur de Rome, s’il veut conquérir de

  1. Ibid., p. 58.