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force les Milanais, car c’est lui qu’ils tiennent conquis et il vit déshérité malgré ses Allemands ; et qu’à côté de lui en mange le roi français, puis il recouvrera la Castille qu’il perd par sa sottise[1].

L’idée parut originale à deux troubadours contemporains qui s’en emparèrent aussitôt. L’un, Bertran d’Alamanon[2], reproche à Sordel de donner à des lâches le cœur de Blacatz qui était vaillant parmi les vaillants (survaillant, il y avait des sur-hommes déjà). Ce sont les nobles dames du temps qui se le partageront, dit-il ; et il énumère toutes celles qui ont droit à une part : « Que Dieu le glorieux s’occupe de l’âme de Blacatz ; car le cœur est resté avec celles qu’il aimait. »

L’autre troubadour, Peire Bremon[3], a renchéri sur Sordel. Puisqu’on a partagé le cœur, dit-il, il reste le corps ; nous le donnerons par quartiers à la chrétienté ; « nous garderons le quatrième, nous autres Provençaux, car si nous le donnions tout, cela irait trop mal ; nous le mettrons à Saint-Gilles, comme en un lieu national » ; et Rouergats, Toulousains et Biterrois, tous ceux qui ont le goût de la gloire, y viendront. Telles sont les puérilités auxquelles s’amusaient les troubadours de la décadence.

Comme poète d’amour, Sordel ne s’élève pas au-dessus du niveau commun, dit son éditeur. Ses chansons sont monotones ; rarement un trait naturel vient rompre cette monotonie. Dans une discussion avec un autre troubadour, qui préférait à l’amour la

  1. Éd. de Lollis, V.
  2. Sur Bertrand d’Alamanon, cf. l’édition Salverda de Grave, Toulouse (Bibliothèque méridionale).
  3. Peire Bremon, Raynouard, Choix, IV, 70.