Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie des camps et la gloire des armes, Sordel défend son point de vue de la manière suivante : « Pourvu que celle en qui j’ai mis mon espérance croie que je suis vaillant, je vivrai toujours dans la joie parfaite… » Rien de bien neuf jusque-là, mais voici la fin : « Vous irez tomber de cheval pendant que je resterai près de ma dame ; même si vous deveniez un des vaillants de France, un doux baiser vaut bien un coup de lance ![1] » C’est à peu près le seul trait naturel qu’on puisse relever dans ses chansons.

Voici qui est plus subtil. Sordel raconte comment son cœur lui a été enlevé par l’Amour. « Ma dame sut bien m’enlever mon cœur, dès que je la vis, avec un doux regard amoureux que me lancèrent ses yeux voleurs. Ce jour-là, avec ce regard, Amour m’entra au cœur de telle sorte qu’il me l’enleva et le mit en sa possession. Aussi est-il toujours auprès d’elle, où que j’aille ou que je sois. »

Cette manière subtile et affectée est beaucoup plus dans le goût de Sordel. Sa conception de l’amour se rattache assez bien à la conception classique. Pour lui aussi l’amour est un principe de bien et de vertu ; aussi est-il jaloux de l’honneur de sa dame et exprime-t-il à plusieurs reprises son mépris pour les passions charnelles. L’amour ainsi conçu est une passion noble et pure.

Mais Sordel renchérit, comme la plupart des troubadours de la décadence, sur cette doctrine. L’amour, pour lui comme pour les poètes du temps, est quelque chose de plus éthéré, de plus quintessencié

  1. Éd. de Lollis, p. 17.