Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/247

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encore qu’à la période précédente[1]. La dame aimée n’a plus ni corps, ni figure ; c’est une abstraction créée par l’esprit, le cœur n’y a point de part. Cette conception facilite dans le Midi de la France la transformation de la lyrique profane en lyrique religieuse ; en Italie, elle annonce et prépare l’école de Bologne, où fleurit l’amour mystique.

Tel nous apparaît Sordel dans l’histoire et dans l’histoire littéraire ; un chevalier de moyenne naissance dont la vie — sauf pendant sa jeunesse — n’offre rien de bien extraordinaire, qu’un poète de peu d’originalité.

Il a paru tout autre à Dante, qui lui a donné, dans la Divine Comédie, une place immortelle. Virgile lui montre, dans le Purgatoire, une âme éloignée des autres, « fière et dédaigneuse », qui les regardait. Virgile la prie de lui indiquer la route ; mais l’âme, sans lui répondre, lui demande à son tour quelle est sa patrie. « Mantoue… » répond Virgile. Aussitôt l’âme inconnue parle : « Ô homme de Mantoue, je suis Sordel, originaire de ta terre et aussitôt l’autre l’embrassait. » C’est ici que se place la célèbre apostrophe de Dante à l’Italie : « Ô esclave Italie, maison de douleur, navire sans nocher dans la grande tempête, cette âme noble fut aussitôt prête, rien qu’en entendant le doux nom de sa terre, à faire fête à son concitoyen ; tandis que tes fils se font une guerre sans trêve, et qu’ils s’enlèvent mutuellement ce qu’un mur ou un fossé renferment. Regarde, malheureuse, autour de tes rivages, et puis regarde

  1. Cf. le vers connu de Montanhagol : D’amor mou castitatz (d’amour vient la chasteté).