Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/248

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dans ton sein si aucune partie jouit de la paix… » Et l’apostrophe se continue, violente et pathétique, jusqu’à la fin du chant[1].

Le chant suivant du Purgatoire est encore consacré à Sordel ; et c’est en le lisant qu’on s’explique la place d’honneur que Dante a donnée au troubadour de Mantoue. Sordel montre à Virgile les âmes de ceux qui implorent leur pardon en chantant Salve Regina au milieu des fleurs suaves ; ce sont les rois et princes qui ont négligé de faire leur devoir ; et, en comptant bien, on y retrouve[2] ceux auxquels Sordel, dans sa plainte funèbre sur Blacatz, veut donner une part du cœur du mort. C’est donc cette composition — qui paraît faible à notre goût moderne — qui a inspiré Dante dans ce passage célèbre. On peut dire que Dante a vu Sordel transfiguré ; la satire que celui-ci adressait aux rois était remarquable par l’étrangeté de la forme plutôt que par la violence du fond. Cependant elle a suffi pour que Dante donnât à Sordel, dans le Purgatoire, l’allure « fière et dédaigneuse » d’un poète redresseur de torts et pour qu’il lui accordât une place d’honneur dans la Divine Comédie. Si l’on songe que Sordel était mort depuis une quarantaine d’années, on voit que la légende, ou plus simplement l’imagination de Dante, avaient vite fait du poète une personnalité plus intéressante qu’il ne fut en réalité.

Cunizza nous apparaît aussi transfigurée dans le poème de Dante ; elle est même mieux traitée que son ami Sordel ; elle est dans le Paradis (ch. IX) et

  1. Cf. Fauriel, Dante, I, 504.
  2. Sauf une exception ; cf. éd. de Lollis, Introduction.