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L’image de celle que je porte en moi devient alors si vivante et tellement impérieuse que je me sens mourir[1].

Cette imagination gracieuse, que gâte un peu d’affectation et de préciosité, défaut commun à la lyrique provençale et italienne, elle apparaît mieux encore dans une autre chanson du même poète, dont nous citerons les deux premières strophes.

L’amour s’abrite toujours en noble cœur, comme l’oiseau bocager dans le feuillage. La nature ne créa point l’amour avant noble cœur, ni noble cœur avant l’amour. La lumière ne fut point avant le soleil ; elle fut avec lui et au même instant que lui. Comme du feu naît la chaleur, ainsi l’amour naît de noblesse ; et flamme d’amour prend en noble cœur.

Une pierre précieuse ne s’imprègne point de la clarté d’une étoile, si le soleil ne l’a auparavant épurée, n’en a extrait toute parcelle grossière : alors seulement l’étoile lui communique sa splendeur. C’est ainsi, qu’en guise d’étoile, une dame remplit d’amour le cœur que la nature a créé noble et fier.

« Flamme d’amour naît en noble cœur », dit Guido Guinicelli ; c’est presque par les mêmes termes que commence un sonnet célèbre de Dante dans la Vita Nuova.

Comme dit le Sage [Guido Guinicelli] l’amour et un noble cœur ne font qu’un ; et quand l’un ose aller sans l’autre, c’est comme quand l’âme abandonne la raison.

La nature, quand elle est amoureuse, rend l’amour le Maître, et fait du cœur la maison dans laquelle on se repose en dormant, tantôt peu, tantôt longtemps.

Cependant la beauté se manifeste aux yeux par les traits d’une dame sage, et cet objet agréable fait naître

  1. Fauriel, Dante, I, 340.