Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prenant une partie de leur inspiration chez les troubadours, les minnesinger ont-ils gardé leur originalité ; leur conception de l’amour en particulier est par certains côtés une création nouvelle, indépendante de son modèle[1].

Elle est, en partie, une image de la société germanique du temps, où il semble qu’il y ait eu moins de liberté dans les mœurs qu’au pays des troubadours. Il est souvent question, chez les minnesinger, d’un personnage chargé de veiller sur la conduite de la femme ; on n’a signalé que deux mentions d’un personnage semblable chez deux troubadours, Guillaume de Poitiers et Marcabrun. Le minnesinger ne choisit pas une dame pour objet de ses chants, il ne la désigne pas par un pseudonyme, un senhal, comme c’est d’usage dans la poésie provençale ; il chante la femme en général. La discrétion est une des qualités principales de l’amant d’après la théorie des troubadours ; ce côté de la doctrine de l’amour courtois est un de ceux que les minnesinger ont développé le plus volontiers ; la discrétion (tougen minne) paraît avoir joué encore un plus grand rôle dans la société amoureuse germanique qu’en Provence. Enfin le « vasselage amoureux » y a pris une allure plus formaliste. « Le Germain a une prédilection pour le formalisme dans le droit », dit un historien des minnesinger ; ce goût est en effet sensible dans l’emploi fréquent des termes les plus connus du vasselage féodal.

Voici, pour sortir des généralités, une chanson du minnesinger Heinrich von Mohrungen (fin du

  1. Diez, Poesie der Troubadours, p. 239. A. Lüderitz, op. laud., p. 26.

    Diez, après avoir établi une série de rapprochements entre la poésie lyrique provençale et celle des minnesinger, ajoute que cette ressemblance n’est pas due à l’imitation, mais qu’elle est due aux idées du temps et au caractère particulier de la poésie amoureuse. (Diez, Poesie der Troubadours, p. 240.) Cette raison n’est certainement pas suffisante, quoiqu’elle explique bien des choses.

    Diez le premier, Bartsch ensuite ont relevé les imitations formelles qu’un minnesinger, Rodophe de Neufchâtel, a faites de Folquet de Marseille (et de Peire Vidal) ; Bartsch a signalé à son tour une imitation de Folquet de Marseille par le minnesinger Frédéric von Hausen (fin du xiie siècle, comme Rodophe de Neufchâtel) et une imitation d’une forme strophique difficile de Bernard de Ventadour par le même Frédéric. Cf. Bartsch, Grundriss zur Geschichte der provenzalischen Literatur, § 30.