Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était plus possible dans la lyrique provençale ; ce qui dans la première était un principe de vie était dans la seconde un produit de la décadence.

Ce n’est pas que la conception de l’amour chez Riquier soit bien différente de celle des troubadours qui l’ont précédé. Comme eux il demande une seule faveur à sa dame, de l’agréer pour serviteur ; il a choisi comme eux la meilleure et la plus aimable femme qui soit au monde ; il jure à tout instant qu’elle peut compter sur sa fidélité et sur sa discrétion. Mais la dame, conformément aux conventions, demeure rigoureuse, inflexible ; les traditions littéraires ne lui permettent pas une autre attitude. Et Riquier de se désespérer, de répéter après tant d’autres que le chagrin le tuera, que la honte de cette mort rejaillira sur la dame qui ne lui a témoigné aucune pitié.

Et cependant deux choses le consolent dans son infortune. S’il regrette l’esclavage où l’amour l’a placé et s’il pense, avec une mélancolie qui paraît sincère, à l’heureux temps où il était libre, corps et âme, il sait gré à l’amour de ne l’avoir pas fait aimer une autre femme. C’est que Beau Déport, malgré sa rigueur, ou plutôt à cause de sa rigueur, a fait de lui un excellent poète et un homme meilleur. Au moment où son talent est le plus honoré, en Castille, il ne manque pas de faire hommage de cet honneur à Beau Déport et à l’amour. L’amour de Beau Déport lui a donné la gloire. « Je me tiens pour bien payé de mon talent, qui m’est venu pour avoir bien aimé ma