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« Jésus, dit-elle, roi du monde, c’est pour vous que croît ma douleur. Car les meilleurs soldats sont partis pour vous servir.

« C’est pour vous qu’est parti mon doux ami, mon beau et mon vaillant ami.

« À moi il ne m’est resté que les regrets et les pleurs. Ah ! malheur au roi de France Louis, par qui le deuil est entré dans mon cœur. »

Quand je la vis se désespérer, je vins près d’elle auprès du clair ruisseau. « Belle dame, dis-je, trop de pleurs abîment le visage et enlèvent ses couleurs. Il ne vous faut désespérer, car celui qui donne au bois ses feuilles peut aussi vous rendre la joie.

« — Seigneur, dit-elle, je crois bien que Dieu aura pitié de moi dans l’autre monde, comme il aura pitié de tant d’autres pécheurs. Mais en attendant, il m’a enlevé celui qui faisait ma joie. »

Cette énumération serait incomplète, si nous ne citions en terminant un des genres les plus gracieux que les troubadours aient traités. C’est celui de l’aube (prov. alba). Le nom lui vient de ce que le mot « aube » reparaît à chaque couplet. Pour caractériser le fond, il suffit de rappeler la situation de Roméo et Juliette, quand le chant mélodieux du rossignol vient leur annoncer le jour. Seulement, dans « l’aube », le chant du rossignol est remplacé par la voix d’un ami fidèle qui a poussé le dévouement jusqu’à veiller toute la nuit à la sécurité de son compagnon. De cette situation étrange le poète sait tirer d’heureux effets, comme on peut le voir dans la traduction suivante d’une des « aubes » les plus célèbres de la littérature provençale. Elle débute par une invocation à Dieu qui ne manque pas de gran-