Page:Anglade - Les troubadours, 1908.djvu/87

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Bernard de Ventadour appelle sa dame tantôt Bel-Vezer (Belle-Vue), tantôt Magnet (Aimant), tantôt Tristan, déroutant ainsi non seulement la malice de ses contemporains, mais aussi la sagacité des commentateurs modernes

Rigaut de Barbezieux désigne constamment sa dame sous le nom de Mieux-que-Dame (Miels de Domna), Plus-que-Reine, pourrions-nous dire, en rappelant le titre d’un roman contemporain. Bertran de Born appelle la sienne Miels-de-Ben (Mieux-que-Bien) ou Bel-Miralh (Beau-Miroir). On trouve encore parmi ces pseudonymes Beau-Réconfort (Belh Conort), Bon-voisin, Beau-chevalier, Mon écuyer, Beau-Seigneur. Le dernier troubadour appelait sa dame Belle-Joie (Belh Deport). Cette coutume, qui remonte à Guillaume de Poitiers, a été constamment observée.

Elle s’explique si on se rappelle que les troubadours n’adressent leurs hommages qu’à des femmes mariées ; chanter l’amour d’une jeune fille est tout à fait exceptionnel, dans la poésie provençale. Cette habitude peut nous paraître étrange ; mais elle est conforme aux mœurs du temps.

La femme mariée seule a été idéalisée par la chevalerie. C’est à elle que vont les hommages des poètes, comme ceux des chevaliers. On comprend d’ailleurs sans peine cet état de la société. Pendant l’absence du seigneur, appelé souvent par devoir ou par ambition à des expéditions guerrières, la femme représentait la puissance suzeraine aux yeux de ses vassaux. Elle peut être appelée à jouer un grand rôle, comme