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Guibourg, l’épouse légendaire de Guillaume d’Orange, qui, en l’absence de son mari, défend la ville contre les Sarrasins. La jeune fille tient peu de place dans la société du temps et n’a aucun rôle à jouer. Il faut se rappeler ces mœurs si on veut comprendre la poésie des troubadours.

En même temps que la discrétion une autre qualité éminente, exigée par le code amoureux du temps, c’est la patience, une patience sans mesure et sans bornes. Beaucoup de troubadours la comparent à celle des Bretons qui attendent depuis des siècles la résurrection de leur roi Arthur. Un des plus gracieux poètes du temps, Rigaut de Barbezieux, s’exprime ainsi au début d’une de ses chansons « Celui-là se connaît peu en amour, qui n’attend pas patiemment sa pitié ; car amour veut qu’on souffre et qu’on attende ; mais en peu de temps il répare tous les tourments qu’il a fait souffrir. » C’est que l’amant est à la merci de sa dame ; elle ne lui donne rien que par miséricorde, par pitié. « Patience est le mot magique, le talisman devant lequel s’ouvre le cœur de la personne aimée. » Les meilleurs troubadours vantent les mérites de « patience et longueur de temps » et témoignent souvent de leur mépris pour les impatients[1].

Cette longue épreuve peut devenir d’ailleurs la source des plus pures joies ; voici comment deux troubadours rajeunissent un lieu commun de la poésie érotique. « Bénis soient les soucis, les chagrins, les maux qu’Amour m’a causés pendant si longtemps ;

  1. Diez, Poesie der Troubadours, p. 127.