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s’envole et prend son oiseau ; ainsi l’amour parfait observe et épie la jeune dame de beauté parfaite en qui s’assemblent toutes les qualités ; Amour ne se trompe pas quand il la prend ainsi.

Aussi veux-je supporter ma douleur ; car pour récompense de nos souffrances nous sont données de belles joies ; la souffrance amène le redressement de bien des torts et vient à bout des médisants. Ovide dit dans un de ses livres — et vous pouvez le croire — que par la souffrance on obtient les faveurs de l’amour : pour avoir souffert, maints pauvres sont devenus riches ; aussi souffrirai-je jusqu’à ce que j’obtienne une grâce.

Et puisque Joie et Mérite s’unissent en vous, dame, à la beauté, pourquoi n’y ajoutez-vous pas un peu de pitié, qui me serait si profitable dans ma détresse ? Car, semblable à celui qui brûle au feu d’enfer, et meurt de soif, sans joie et sans lumière, je vous demande grâce, dame.

Parmi les compositions de Rigaut celle-ci est une de celles qui ont été le plus admirées ; elle est reproduite dans une vingtaine de manuscrits, presque tous de première importance. Elle a partagé ce succès avec quelques autres dont nous allons citer les principales.

Elles sont d’un accent peut-être plus personnel que celles dont il vient d’être question. L’appel à la pitié de sa dame, qui est un des thèmes ordinaires traités par les troubadours, s’y exprime en termes touchants et simples, parfois naïfs, ce qui, en l’espèce, est un charme de plus. Rigaut exagère sa crainte et sa timidité pour attendrir sa dame ; il est le « naufragé » qui a besoin de secours, l’être sans souffle, à qui Amour redonne la vie.