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Page:Anicet, Feval - Le Bossu, 1862.djvu/35

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FLOR.

Et lui ?

BLANCHE.

Que lui dirais-je… il ne me demande rien.

FLOR.

Eh bien, cause avec moi, chère sœur, comme lorsque nous étions petites… Dis-moi ce que tu as appris de la destinée, car, entre nous, je ne suis pas plus sorcière que toi. Et tu sauras ce que je sais du passé, du présent et de l’avenir, quand je t’aurai dit que je t’aimais autrefois, que je t’aime aujourd’hui et que je t’aimerai toujours. (Elle l’embrasse.)

BLANCHE.

Que sais-je, moi-même ? je crois être née en France. J’ignore jusqu’à mon âge. Où je vois pour la première fois clair dans mon passé, c’est dans les Pyrénées espagnoles ; là, je gardais les chèvres du montagnard qui nous donnait l’hospitalité… Plus tard, mon ami craignait d’être poursuivi, car nous changions tout à coup de résidence, et lui-même changeait de nom.

FLOR.

En effet, autrefois, il s’appelait don Luis et aujourd’hui ce garçon le nommait Henriquez.

BLANCHE.

Il se nomme vraiment Henri de Lagardère, et voilà comment je l’ai su : Nous étions à Burgos depuis près d’un an. Au milieu de la nuit quelqu’un m’éveille doucement… C’était lui… « Lève-toi vite, enfant, il faut fuir, ils ont découvert nos traces… — Qui  ? — tes ennemis ? »

FLOR.

Tu as des ennemis, toi ?

BLANCHE.

Et bien terribles, tu vas voir… déjà on montait l’escalier… On allait ouvrir la porte… Henri remplace la barre absente par son bras. « Enfant, me dit-il, tu es brave et tu feras ce que je te dirai… Oui… Attache tes rideaux à la fenêtre et laisse-toi glisser jusque dans le jardin… le feras-tu ?… Oui, si vous me promettez de me rejoindre… Je te le promets… » Je fis ce qu’il m’avait ordonné ; à peine dans le jardin, je lui criai : J’y suis… Et moi aussi, répondit-il d’une voix éclatante, j’y suis ! » Et j’entendis dans la chambre que je venais de quitter le cliquetís des épées, des blasphèmes, et la voix de mon ami dominant tout ce bruit et répétant sans cesse : « J’y suis, Lagardère, Lagardère !… » J’entendis encore deux cris terribles… puis comme deux corps tombant sur le plancher… De terreur, je fermai les yeux… Quand je les rouvris, mon ami était près de moi, il me prit dans ses bras et m’emporta en criant encore : « Lagardère ! Lagardère ! »