Aller au contenu

Page:Anicet, Feval - Le Bossu, 1862.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de solitude vous connaîtrez mon cœur, qui n’aura pas gardé un secret pour vous, ma mère !… Je suis ici plus seule encore qu’à Ségovie… mon ami est presque toujours dehors… Il vous cherche peut-être… mais pourquoi, lorsqu’il touche au but de sa vie, est-il plus triste et plus silencieux ? Oh ! vous l’aimerez, n’est-ce pas, ma mère, vous l’aimerez, car… (Ici Lagardère descend doucement l’escalier, et sans être entendu de Blanche, arrive derrière elle. Lagardère porte un habit de gentilhomme simple et sévère. Continuant, sans voir Lagardère.) Il a donné pour moi sa vie… il m’a sauvée !… Sans lui, que serais-je ?… un peu de poussière au fond d’une pauvre petite tombe !… et quelle mère, fût-elle duchesse ou cousine de roi, quelle mère ne serait orgueilleuse d’avoir pour fils le chevalier Henri de Lagardère, le plus brave, le plus fier, le plus généreux des hommes… Quel que soit le nom que la naissance vous ait donné, Lagardère sera digne de ce nom… Si j’étais entre vous et lui… Oh ! j’aurais toutes les joies du ciel !… À demain ! ma mère bien-aimée, à demain !…

LAGARDÈRE, doucement et tristement.

Non… Blanche, pas à demain… à ce soir ; car ce soir, vous embrasserez votre mère…

BLANCHE, avec joie.

Ce soir !…

LAGARDÈRE.

Je l’ai vue tout à l’heure… elle a gardé saintement dans son âme le souvenir de votre père… Elle vous aimera comme elle l’aimait… elle vous fera heureuse, mon enfant… Mais il faut déchirer ce que vous venez d’écrire… il faudra ne jamais parler de moi à votre mère… il faudra m’oublier quand vous serez dans ses bras…

BLANCHE.

Vous oublier, vous… Henri !…

LAGARDÈRE.

Oui…comme j’oublierai, moi, un rêve insensé… Votre mère est une grande dame… une très-grande dame… moi, je ne suis qu’un pauvre gentilhomme… Et qu’est-ce que mon nom ?… il me vient de murailles ruinées où j’abritais mes nuits d’enfant orphelin… Dieu m’est témoin que je n’ai plus qu’une pensée… rendre à la mère le dépôt sacré que le père m’a confié…

BLANCHE.

Henri… vous ne m’aimez donc plus ?…

LAGARDÈRE.

Ah ! Blanche, ne m’ôte ni mon courage ni ma raison. Nous avions bâti sur le sable… un souffle a suffi pour renverser le frêle édifice de mon espoir… Quand j’ai quitté