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92 ANNALES D'HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

anormale par la guerre de course, à peu près perpétuelle entre les Siciliens et leurs proches voisins du Maghreb ; elle fournissait d'esclaves les deux rivages opposés.

Resterait à rendre compte de l'ensemble du tracé. Pourquoi cette forte montée au x1ve siècle ? Pourquoi la descente à partir du xvn® ? M. Gaudioso n'a tenté aucune réponse. Aussi bien, en Sicile, l'existence de la domination musulmane, du x° au xn siècle, donne-t-elle à l’histoire de l'esclavage médiéval un tout autre point de départ que dans l'Italie péninsulaire. On n’en doit que plus vivement regretter que le problème ait été négligé.

Droit de l'esclavage. — C'est la partie la plus abondamment traitée par M. Gaudioso, dont l'étude est essentiellement juridique. Il faut distinguer Ia doctrine, élaborée par les juristes, sous l'inspiration du droit romain, et la pratique, qui, formée sous des influences très complexes, différait sensible ment du droit théorique. En fait, la condition de l’esclave sicilien nous appa- raît comme très dure. Il était vraiment la chose d'autrui. Rien de plus signi ficatif que les énumérations des inventaires : «une tasse d'argent, une petite tasse d'argent, deux femmes esclaves, d'origine tartare. un tonneau plein de vins (p. 53 : 1372). Les enfants étaient couramment vendus sans leurs parents (p. 88). Conformément au principe général des législations médiévales, alors qu'il était interdit de réduire en servitude un chrétien ou plutôt un catholique, par contre l'esclave païen ou schismatique d'origine, mais baptisé après son asservissement, n’en restait pas moins esclave ; la conversion n'en- trainait pas l'affranchissement. Sur 648 esclaves du sexe masculin, recensés à Palerme en 1565, 147 étaient chrétiens, — entendez, je pense, catholiques {p. 27). Le 22 mai 1842 encore, dans un rapport au roi, souvent cité par les bistoriens de l'esclavage (par M. Gaudioso, p. 31), la Junte des Présidents ct Consulteurs déclarait : « L'autorité des publicistes, la sainteté de notre reli- gion, la discipline de l'Église, les sanctions des lois nationales, l'usage cons- tamment appliqué dans notre royaume nous persuadent de suggérer à Votre Majesté que l'esclave même après le baptême doit demeurer dans sa condi- tion servile, pour peu que son maitre. refuse de lui donner la liberté.» Cependant, comme nous le verrons à l'instant, un traitement de faveur fut accordé, de bonne heure, aux esclaves grecs.

Recrutement. — L'élève du bétail humain, très délicate, n’a, dans la plu- part des civilisations à esclaves, jamais fourni qu'une part relativement faible de Ia population servile. La Sicile ne faisait pas exception à la règle. À Palerme, en 1565, à peine plus de 41 % (exactement 268 sur 648), des esclaves étaient nés dans le pays, de parents déjà engagés dans les liens de la servitude {p. 27). L'esclave était avant tout une marchandise d'importation. D'où la Sicile tirait-elle les siens ?

Au début du xrve siècle la majorité étaient des Grecs — servi de Romania — jetés sur les marchés de l'ile surtout par les razzias de la Grande Compa- gnie catalane. Schismatiques, les Grecs étaient étrangers à la véritable societas christiana. Ils pouvaient légalement être asservis. Pourtant on paraît de bonne heure avoir éprouvé à leur égard quelques scrupules. Les actes de vente qui les concernent préfèrent à la formule usuelle — « a vendu tel esclave» — une expression moins brutale : « a vendu... les ouvrages et ser- vices, vendidit.… operas et servicia omne persone cuiusdam servi greci de