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Les institutions et les mœurs n’ont pas figure matérielle ; mais ce sont choses étroitement liées aux objets que l’homme a façonnés sous l’influence du régime social auquel est adaptée sa vie. Ces objets reflètent des habitudes qui dérivent de l’état social ou qui l’inspirent. Nous gagnons ainsi pour nos recherches un degré qui nous met de plain-pied avec elles ; et grâce à l’universalité des documents fournis, nous sommes mieux en situation de comprendre comment, non dans un cas particulier, mais d’une façon générale et coordonnée, les faits géographiques qu’impriment sur la vie sociale.

II

La cause qui, d’après nous, introduit le plus de différences entre les sociétés, est la position. Suivant qu’une contrée est vouée à l’isolement, ou qu’elle est ouverte, au contraire, aux courants de vie générale, les rapports des hommes entre eux sont tout autres. C’est l’éternelle antithèse qui frappait Thucydide, lorsqu’il opposait en Grèce les peuples parvenus à ce degré de civilisation qu’exprimait le mot πόλις, et ceux qui pratiquait encore la manière de vivre archaïque. Ces tribus restées primitives, il les trouverait encore là où il les signale. Ces communautés, retranchées dans leurs conditions traditionnelles d’existence, ont en général la vie dure. C’est, si l’on y songe, un sujet de réflexion autant que de surprise, que de voir autour de notre Méditerranée tant de peuples, dont plusieurs hautement doués, dont le régime social porte encore l’empreinte de l’isolement. Là se perpétue la vie de clan et de tribu, où l’autorité politique n’excède pas le cercle où elle peut s’exercer d’une façon matérielle et directe, où l’habitude persiste d’aller armé, où s’éternisent les guerres de vendetta entre familles ou tribus. Le mépris de tout ce qui est étranger est inhérent à cette forme de société. La personne de l’étranger n’est protégée que par des rites d’hospitalité dont l’efficacité cesse à la porte de l’hôte, ou par l’usage de contrats personnels.

La montagne, la forêt, surtout la forêt tropicale avec ses impénétrables lacis de lianes et de troncs pourris, de grandes étendues à franchir soit à travers les continents, soit à travers les mers : voilà ce qui a longtemps maintenu et qui maintient encore un grand nombre de groupes humains à distance les uns des autres. Il y avait, sans remonter au delà de quarante ans, dans le centre de l’Afrique, de nombreuses populations chez lesquelles n’avait jamais pénétré un Arabe, ni un Européen. Dans la zone africaine de forêts tropicales, c’est le village qui est l’unité, chacun formant un petit monde à part, dans la clairière qu’il cultive. Et pourtant, parmi ces groupes vivant dans un état qui paraît si rudimentaire, il en est qui ont su tirer un