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ingénieux parti des matériaux fournis par la nature ambiante, et dont le matériel ethnographique, tel qu’on peut l’étudier au Musée de Berlin, ne manque ni de richesse, ni de variété. Tant il est vrai qu’on est bien en présence d’une forme de société arrêtée, se développant à sa manière, douée d’une impulsion propre ! Nos officiers ont pu constater même, au Soudan, que le long de la lisière septentrionale de la forêt ce type de village isolé pousse comme des rejetons ; dans les lambeaux détachés de la forêt se gîtent des villages, qui ont soin de barricader par des obstacles l’accès de leur clairière.

Il est rare pourtant que l’isolement et l’organisme social strictement renfermé en lui-même soient absolus. Une tribu peut en avoir une autre ou d’autres dans sa clientèle. Les sof ou partis qui divisent chaque ksar dans le Sud-Ouest de l’Algérie, ont des amis et des ennemis dans d’autres ksour. Dans l’Afrique centrale elle-même on connaît, par les récits des explorateurs, ce curieux exemple de parasitisme social, rappelant certains sociétés animales, qui s’est établi entre le pygmée chasseur et le villageois cultivateur de la zone forestière tropicale, et dans lequel chacune des deux parties trouve occasion d’un échange utile.

Nous venons de parler de l’isolement qui résulte des conditions naturelles ; mais il y a aussi l’isolement voulu, méthodique, cartésien pourrait-on dire. C’est celui que recherchent des civilisés pour s’émanciper des entraves d’une société gênante, et réaliser telle forme sociale ou religieuse. Ainsi firent en 1847 ceux qui allèrent chercher dans les solitudes du Lac Salé la liberté de s’organiser à leur guise, qui leur était refusée dans les États de l’Est. Dans les vallées les plus reculées de l’Altaï, sur les frontières de Chine, ou bien même au delà du cercle polaire dans les éclaircies de la grande forêt sibérienne, des colonies de raskolniks ont vécu ainsi, isolées, ignorées ; et c’est seulement bien tard que la colonisation actuelle, qui les relance aujourd’hui dans leur retraite, a révélé leur existence. Citerons-nous de petits villages d’anabaptistes qui se sont créé une existence à part dans quelques vallées retirées autour du Donon ? Il ne serait pas tout à fait juste de dénier à ces échappées d’affranchissement toute portée générale. À quel autre sentiment obéirent les Puritains qui vinrent au XVIe siècle aborder aux côtes du Massachusetts ? Et ne suffirait-il pas de feuilleter Hérodote pour trouver dans la colonisation ancienne des exemples analogues ? Nous touchons ainsi à une série de faits intéressants dont on peut dire, il est vrai, que les progrès des communications rendent chaque jour le renouvellement plus difficile. Il n’est peut-être pas sans inconvénient que le champ disponible pour ces expériences se restreigne sans cesse. Ces phénomènes de géographie sociale étaient susceptibles d’engendrer une série de conséquences