Page:Annales de géographie - Tome 11 - 1902.djvu/20

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dont l’originalité n’est souvent qu’un régal pour le sociologue, mais qui, en certains cas, ont pu servir de ferment à des sociétés naissantes.

De même que la position, les traits physiques d’une contrée s’impriment profondément dans l’état social. La contiguïté de la steppe pastorale et des terres de culture, de l’oasis et du désert, comme celle de la plaine et de la montagne, est une cause de rapports dont la portée politique et économique ne saurait être méconnue sans inconvénient. Nous l’avons appris à nos dépens, en Algérie. Habitués par des livres et des théories dogmatiques à opposer, en les cantonnant dans des domaines respectifs, l’agriculteur et le pasteur, comme deux formes de vie sans pénétration réciproque, on n’est arrivé qu’assez lentement à concevoir la véritable nature de leurs relations mutuelles. Tel est pourtant le cas qui se présente non seulement sur la lisière du Sahara, mais dans une grande partie de l’Afrique et de l’Asie. L’exemple de la région des ksour, que nous citions tout à l’heure, permet de prendre ces rapports sur le vif. Dans son ksar semblable au vieil oppidum italiote, entre ses murailles percées de rares portes et dont l’enceinte déjà étroite se subdivise souvent encore elle-même en quartiers fermés, le cultivateur sédentaire met en sûreté les récoltes des jardins que vivifient aux abords immédiats ses rigoles d’irrigation. Il est cultivateur et artisan ; des tissus et des instruments, la plupart fabriqués par les femmes, s’emmagasinent avec les grains et les fruits, dans le ksar, où, périodiquement, une ou deux fois par semaine, se tient un marché. Dans un rayon de quelques kilomètres autour du ksar campent sous la tente des tribus qui non seulement troquent leur laine et leurs troupeaux contre les produits des sédentaires, mais qui déposent elles-mêmes ou, suivant le terme consacré, ensilotent les grains qu’elles ont pu obtenir par des semailles faites à la volée, au hasard d’une pluie favorable. Leur existence plus ou moins nomade est liée néanmoins à celle de l’oasis. Leurs mouvements gravitent autour d’elle, sans s’en éloigner. Mais ce n’est pas tout. Dans cet échafaudage de relations fondées sur les besoins réciproques, il faut tenir compte aussi d’autres tribus, qui constituent la clientèle lointaine, mais également attirée. On sait qu’en Algérie les tribus voisines du Tell accomplissent périodiquement des migrations vers le Sud pour échanger leurs produits pastoraux contre les dattes dont se compose en partie leur alimentation. Chacune est en rapport avec un ksar particulier où elle est en possession de vendre et d’acheter, en vertu d’un contrat fidèlement observé de part et d’autre. C’est une cause de guerre, si d’autres tribus essayent de la supplanter.

On peut affirmer que ce système de relations est inintelligible sans la connaissance de la physionomie du pays. Elle seule, en nous montrant le mélange de terres arrosées et de terres arides, les nuances intermédiaires qui existent d’un domaine à l’autre, rectifie les concep-