Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/103

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Et cependant ce n’est pas le précepte sacré de l’Ahimsa ou « Respect de la vie des êtres », qui retient les Tibétains, car ils sont grands amateurs de viande, et les lamas eux-mêmes s’en régalent sans scrupules toutes les fois que l’occasion s’en présente, à la seule condition de ne pas « contribuer directement à la transmigration » de l’animal, c’est-à-dire, de ne pas l’abattre de leurs propres mains, — manière assez jésuitique, il faut le reconnaître, de tourner l’interdiction formulée par le fondateur de leur religion[1]. Ce scrupule est, du reste, général, et les bouchers forment, parmi la basse population, une classe à part et peu estimée.

Le poisson, absolument interdit par les superstitions religieuses, et la volaille méprisée, sont exclus de toutes les tables. Le porc est peu estimé, à moins qu’il ne soit très gras. Le bœuf, trop cher, ne figure que dans les menus des riches. Le mouton, dont la chair est, du reste, particulièrement savoureuse, est, pour ainsi dire, la seule viande qui entre dans l’alimentation des Tibétains, à quelque classe qu’ils appartiennent, et ils en font une consommation énorme. Sans lui, il n’est pas de bon festin de fête. Ils le mangent bouilli, cru ou gelé sans aucune préparation, souvent même sans sel, ou bien en hachis assaisonné d’épices ; mais c’est surtout sa chair crue et saignante qui fait leurs délices. Les intestins bouillis et le boudin de sang de mouton sont, paraît-il, les plats les plus estimés de la cuisine populaire.

Mais même le mouton, qui se paie couramment une once d’argent (environ huit francs) lorsqu’il est un peu gras, est un régal bien coûteux que les pauvres Tibétains ne peuvent s’offrir que dans les grandes occasions, et ne saurait

  1. D’après les règles de discipline promulguées dans le Vinaya, il est interdit aux moines de manger la chair de quoi que ce soit qui ait eu vie. L’usage de la viande est toléré pour les laïques ; mais il est bien stipulé que cela les met dans un état d’infériorité religieuse et constitue un obstacle au salut.