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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

les temps, parceque la vision de la lumière est le plus grand bonheur de la vie[1].

Cependant le roi des vautours, gṛidhrarâjah, vient annoncer à Râma qu’il qualifie de grand arc, de grande fortune, de grande force et de grand bras, qu’il va s’en retourner chez lui, mais il promet de revenir. En attendant, il recommande la plus grande vigilance. À peine est-il parti, qu’une râkshasî nommée Çûrpanakhâ, sœur du râkshasa à dix cous (et qui n’est autre que le redoutable Râvaṇa), arrive et voit Râma, dont l’aspect est semblable à un immortel. Aussitôt elle se sent éprise d’amour pour le héros, mais comme elle se sait épouvantablement laide et méchante à l’avenant, elle se détermine, afin de parvenir à son but, à recourir à une métamorphose et à se faire aimer du héros sous l’apparence d’une beauté parfaite, semblable à celle de Çrî. Ainsi transformée, elle s’approche de Râma qui est sans défiance et lui demande avec un aimable sourire, sasmitan, ce qu’il fait dans ce lieu inhospitalier, peuplé de râkshasas, exterminateurs de tous les rishis, उत्सादयन्न्यृषोन् सर्वान्. Le héros la met en peu de mots au courant de sa situation, et lui demande ensuite qui elle est. La diablesse que l’amour égare lui révèle sa vraie nature et le dessein avec lequel elle est venue le trouver. « Aime-moi, भजस्व मां, s’écrie-t-elle enfin dans le paroxisme de sa passion, ou je dévorerai cette Sîtâ sans beauté ni vertu », इमाम् अनूपामसतों भक्षयिष्यामि[2]. Voilà un moment critique, on peut même dire qu’il l’est doublement, d’abord pour Râma, puis et surtout pour l’existence du Râmâyana. En effet, si la fureur de Çûrpanakhâ, qui est la cause efficiente de l’intervention de Râvaṇa dans l’action du poème, si cette fureur manquait à se produire, notre épopée serait impossible, à peu près comme le serait l’Iliade sans la colère d’Achille, provoquée par l’enlèvement de Briséïs[3]. Il y a là un parallélisme qu’il serait intéressant de suivre dans ses rapports variés, mais cela nous écarterait trop de notre sujet. J’y reviens en disant que Râma sourit à la râkshasî et lui dit d’une voix caressante, श्लक्षणया वाचा, qu’il est empêché

  1. Aussi Macrobe a raison de dire : omnes deos referri ad solem, (Macr., Sat., I, 17) et l’Église n’hésite pas à donner le nom de soleil à J. C. lui même : O Oriens et Sol ! chante-t-elle à Noël.
  2. Râm., III, 23, 43.
  3. Cette colère est d’une telle importance que sur les 51 jours que dure l’Iliade, elle en prend pour elle 22 et domine tous les faits jusqu’au 17e chant.