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LE RÂMÂYAṆA.

par les liens du mariage, mais que son frère Lakshmaṇa, beau garçon et aimable n’est pas marié. C’est donc lui, conclut-il, que tu dois prendre pour ton époux. Çûrpanakha donne dans le piége et offre son amour à Lakshmaṇa. Mais celui-ci non moins habile dans l’art de parier, वाक्यकोविद्ः, que Râma, insinue à la râkshasî qu’il serait peu digne d’elle de devenir comme son épouse la servante d’un serviteur, कथं दासस्य दासो त्वं भार्या भवितुमर्हति[1]. Qu’elle retourne donc à Râma pour lui demander d’être sa seconde épouse. La râkshasî devenue tout à fait folle, atimattâm, revient sottement, adakshiṇâ, à l’époux de Sîtâ pour lui renouveler sa proposition. Mais la patience du fils de Daçaratha est à bout ; il ordonne à son frère d’agir et celui-ci, tirant son épée, défigure si affreusement le visage de la râkshasî qu’elle s’enfuit en jetant de grands cris.

Quand son frère, le terrible râkshasa Khara la vit ainsi mutilée, il jura de la venger et, commandant à quatorze démons nocturnes, niçâcarân, d’aller dans la forêt Daṇḍaka, il leur dit de ne pas revenir qu’ils n’aient tué les deux malfaiteurs avec Sîtâ, car ma sœur, ajoute-t-il, veut boire leur sang : ममेयं भगिरी तेषां पातुमिच्छति शोणितं[2]. Les démons, pour accomplir leur mission, partent comme des nuages chassés par le vent de la mousson. Mais arrivés devant Râma, celui-ci leur intime avec calme l’ordre de rebrousser chemin. Les démons refusent avec fureur et fondent sur lui tous les quatorze à la fois. Alors Râma avec ses armes brisa celles des râkshasas ; puis, transperça le cœur des assaillants et les étendit à terre comme des arbres abattus par la hache proverbiale de Gladstone. Et les flèches, après avoir fait leur œuvre, revinrent d’elles-mêmes au carquois : स्वतूणं पुनरागमत्[3]. Il n’y eut que la râkshasî qui pût porter à Khara la nouvelle du désastre. Quand il la sut, le frère du grand Râvaṇa rassembla dans sa colère une armée de 14,000 de ses démons les plus vigoureux et les plus acharnés contre les munis, et se mettant lui-même à leur tête dans son grand char, dont la forme était celle du sommet du Méru, अहारथं मेरुशिखराकारं, il com-

  1. Râm., III, 24, 9.
  2. Ib., 24, 22.
  3. Ib., 26, 26.