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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

manda : « Niryâta ! en avant ! » et impatient de tuer Râma, il cria à son robuste cocher : « Vole ! »[1]

Cependant les présages deviennent sinistres, toute la nature est soudain troublée et bouleversée, le soleil se voile, les chacals glapissent, les oiseaux restent immobiles et la peur commence à galoper Khara. Comme un vulgaire Romain, il n’ose dire ni « ad me non pertinet » ni « accipio omen »[2]. Enfin surmontant sa terreur, il fait le brave et dit à ses râkshasas avec un rire forcé, prahasan : « Je me moque de tous ces grands et horribles prodiges qui éclatent autour de moi ; j’ai confiance dans la bravoure dont la source est dans ma force ». Et dans son orgueil il va jusqu’à braver les dieux. « J’enverrai, s’écrie-t-il, dans la demeure de Yama, Yama-sâdanam, le vaillant Râma et son Lakshmaṇa… je tuerai le roi des dieux lui-même, malgré la foudre que tient sa main, » देवराजमपि वज्रयाणिमहं हन्यं[3]. Ces vanteries et d’autres redonnent du courage à l’armée des démons, et elle se précipite en avant.

Arrivée en vue de l’âçrama de Râma, elle trouve le héros préparé à la recevoir. Il avait vu les présages qui annonçaient la défaite de ses ennemis, néanmoins en homme prudent, il avait envoyé sa bien-aimée Sîtâ, avec Lakshmaṇa pour protecteur, dans une cachette de la montagne, guhâmaçraya çailasya. Par conséquent, c’est tout seul qu’il va à l’ennemi. Alors les dieux, les rishis, les gandharvas, les siddhas et autres immortels, tous agités et tremblants, se dirent les uns aux autres : « Comment un combat est-il possible entre 14000 râkshasas d’un côté, et le seul Râma de l’autre ? » Et déjà les démons, les suras, se lancent sur le héros lui criant : tishtḥa Râma hato’si ! « arrête, Râma, tu es mort ! » Pourquoi donc soudain, frappés de stupeur, demeurent-ils immobiles comme une montagne, स्थिताः पर्वतसंकाशाः ? Ce qui les cloue ainsi au sol, c’est l’aspect du héros calme, son arc à la main et souriant d’un sourire terrible. Khara seul ne s’arrête pas et ne cesse de crier à son cocher. « Yâhi ! yâhi ! avance ! avance[4] ! » Tous alors suivent leur chef et font pleuvoir sur Râma une grêle de flèches. Le héros en est criblé ; mais il bande son arc et coup sur coup, il décoche aux dé-

  1. तूर्णतरं क्रजेत् va donc plus vite ! (Ib. 42).
  2. Voy. Pline, H. N., XXVIII, 3, 4. — On sait l’incroyable superstition que les Romains professaient au sujet des signes (prodigiœ, portenta) et des omina (prédictions). Ils n’ont pas changé à cet égard depuis Tite Live et Cicéron.
  3. Râm., III, 29, 23.
  4. Ib., 31, 2.