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LE RÂMÂYAṆA.

dont l’avaient accueilli les dieux et les ṛishis, l’embrassant en même temps, au comble de la joie.

Voilà donc désormais les munis en paix dans l’exercice de leur devoir au milieu de la forêt Daṇḍaka. Mais déjà un autre ennemi se lève contre Râma, et la guerre de Ceylan qui est le sujet homérique de notre épopée, va se préparer. En effet, quand la sœur de Khara, la râkshasî Çûrpanakhâ, vit le désastre de l’armée de son frère et ce frère lui-même tomber mort, elle se rendit en toute hâte et en proie à une grande frayeur, près de Râvaṇa à Lanka, qu’il gouvernait[1]. Râvaṇa était le seigneur suprême des râkshasas, râkshaseçvara. D’une force telle qu’il était en état de fendre la cime des montagnes, मेत्तारं पर्वताग्राणां, ce maître démon foulait aux pieds toutes les lois, उच्छेत्तारं धर्माणां. Avec ses deux bras, il pouvait empêcher le lever du soleil et de la lune, सूर्याचन्द्रमुत्तिष्ठन्तौ निवारयति बाहुभां[2]. Il avait acquis ce pouvoir et d’autres non moins surprenants par une vie ascétique d’une austérité hors ligne, les pieds en l’air, ûrdhvapâdena, pendant dix mille années, daçavarshasahasrâṇi, dans la forêt de Gokarna. Svayambhû lui-même, l’Être existant par soi, n’était pas à l’abri de ses entreprises audacieuses et maintes fois il avait profané le Soma : यः सोम धर्मयामास नैकशः sacrilége au premier chef. On le craignait tant que le soleil ne passait qu’en tremblant de tous ses rayons, भोतभोतो au dessus de la ville où il résidait[3]. Et nul moyen de se débarrasser de ce fléau ; lui, il pouvait faire du mal à toutes les créatures, mais personne, fût-il dieu, ne pouvait lui en faire, encore moins le tuer. Je me trompe, un homme pouvait le tuer, mais seulement dans un duel. Qui aurait osé ce combat !

Cependant ce fléau du monde, loka-râvaṇam, comme l’appelle le poète en jouant sur le nom de Râvaṇa, est soudain mis en demeure par l’enragée, sañkruddhâ, Çûrpanakhâde prendre en main la vengeance de Kharaet des siens. Pour l’aiguillonner, elle lui adresse le discours le plus outrageux,

  1. Râm., III, 36, 1.
  2. Ib., ib., 17.
  3. Ib., ib., 22. Cette hyperbole est fondée sur un phénomène atmosphérique que le célèbre naturaliste Hæckel a observé à Ceylan même et dont il parle à la page 90 de ses Lettres de l’Inde. Les objets vacillent dans la lumière tremblante, etc.