Page:Annales du Musée Guimet, tome 13.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
ANNALES DU MUSÉE GUIMET

Râma te revoir ici ! » Puis, lui faisant l’anjali, il s’inclina devant elle et partit.

Mais à peine cet homme vertueux, a-t-il tourné le dos, que Daçagrîva, c’est-à-dire Râvaṇa, se présente devant Sîtâ sous la forme d’un mendiant religieux, parivraj ou bhikshu[1]. À l’aspect de cet esprit redoutable, ugratejaḥ, la nature environnante resta immobile d’effroi ; le vent même retint son haleine et la Godâvarî arrêta ses ondes. Le monstre nocturne, दुष्टचेता निशाचरः, s’avance en récitant des versets du Véda[2] et aborde Sîtâ avec des louanges sur sa beauté et ses charmes. Ce fut un long discours, une sorte d’incantation, qui finit par le conseil de quitter un séjour hanté par des râkshasas, des lions, des tigres, des ours et autres êtres féroces et malfaisants. Sîtâ eut instinctivement peur de celui qui lui parlait ainsi sous l’aspect d’un bhikshu, रावणं भिक्षुनूपिणं, avec toutes les apparences d’un deux-fois-né. Mais quelle que fût son agitation intérieure, elle rendit au mendiant tous les honneurs prescrits pour l’accueil d’un hôte, c’est-à-dire qu’elle servit au scélérat, pâpan, à boire et à manger.

Râvaṇa voyait déjà ses désirs accomplis, mais il perdit du temps à écouter la réponse de Sîtâ qui fut longue aussi, car elle lui raconta toute son histoire[3]. Alors, comme il fallait lui donner la réplique, il oublia, troublé par la passion, toute prudence et se fit connaître en disant : « Je suis Râvaṇa, le fléau de l’univers : अहं स रावणो नाम सर्वलोकप्रतापनः, roi des magnanimes râkshasas[4]. » Puis, lui avouant son amour, il lui offre la première place parmi ses épouses, retraçant avec les plus vives couleurs la situation privilégiée qu’il lui réserve dans la céleste, divyâ, Lañka, création de Viçvakarma, l’ouvrier par excellence. Son esprit, ajoute-t-il, est d’ailleurs très cultivé, il possède à fond la science des 25 principes de l’Être : पञ्चपञ्चकतत्त्वज्ञो[5], c’est-à-dire la philosophie Sânkhya. Il aurait pu ajouter : la science aussi du trimuni vyâkaraṇam, la discipline grammaticale de Pâṇini, de Kâtyayana et de Patanjali. Il pensait sans doute que c’était ennuyer

  1. Râm. III, 52, 8.
  2. Ib., 20.
  3. Ib., 53, 2-26.
  4. Ib., 29.
  5. Cf. infra, au chapitre du Sânkhya.