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LE RÂMÂYAṆA.

une femme que de lui parler grammaire philosophique, celle de cuisine suffisant en général au beau sexe. Quoi qu’il en soit, il finit par dire : Sois à moi, bhajasva mâm.

À ce langage, Sîtâ s’indigne, proteste et répète trois fois qu’elle sera fidèle à Râma, fidèle comme une lionne l’est à son lion : sinhan sinhîva, que la passion de l’intrus est celle d’un insensé et son entreprise grosse de périls. Et s’échauffant, vivement émue, elle revêt son discours de formes lyriques et en six strophes, elle peint au démon la différence incommensurable qu’il y a entre lui et le noble Râma, la différence du ruisseau à l’Océan, du chat à l’éléphant, d’un hibou à Garuda, de la caille au paon, de la grue à l’aigle[1]. Elle finit en l’assurant qu’il ravirait plutôt Çatchî au dieu qui porte la foudre, sa flamme au feu d’un foyer ardent, Uma elle-même au maître de l’univers qu’il n’enlèvera Sîtâ à son noble époux.

Râvaṇa connut alors qu’il fallait agir par la terreur, et il se mit à narrer à la noble femme tous les exploits qu’il a exécutés ; qu’il a vaincu en pleine bataille Indra et Varuṇa entourés de tous les Suras, qu’il a mis en fuite Yama lui-même, bien que ce dieu combattît avec l’arme de la mort[2]. Si donc elle continue à le repousser, tant pis pour elle, le malheur l’accablera. Mais Sîta reste ferme et répond intrépidement, avec des yeux enflammés, sanraktalocana, au souverain des râkshasas que sa mort est sûre s’il enlève l’épouse de Râma.

À ce refus catégorique, Daçagrîva répondit en passant une main contre l’autre हस्ते हस्तं विनिष्पिष्य[3], et à l’instant il reprit sa taille de géant avec ses crocs de lion, ses épaules de taureau, son corps tacheté[4], sa chevelure de feu, et dit à Sîtâ presque évanouie d’épouvante : « Si tu ne veux pas de moi pour époux, j’emploirai la force. » Puis, s’étant répandu encore en beaucoup de paroles, car les personnages de Vâlmîki comme ceux d’Homère et de Shakespeare sont d’intarissables discoureurs, il prit de sa main gauche la tremblante Sîtâ par les cheveux et lui saisit de sa main droite les deux cuisses. La malheureuse eut beau crier : « Ah ! ah ! mon époux, à moi ! Lakshmaṇa, au secours ! » personne ne vint et les divinités même du bois, affolées

  1. Litt. vautour, gridhra.
  2. Râm., III, 54, 10.
  3. Ib., 55, 1.
  4. Signe de race inférieure que Graul, Bastian, Virchow et d’autres signalent chez les Veddas, les naturels de Ceylan, et aussi chez les Todavas, Khols, Bhils et autres aborigènes de l’Inde.