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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

de peur, s’enfuirent en tremblant. Mais le géant ayant enveloppé de ses bras l’épouse chérie de Râma, la plaça dans son char et s’élança dans les airs d’un vol rapide comme Garuda.

Le râkshasa déroba Sîtâ comme un çûdra vole l’audition du Véda : स्क्षो जयाह वैसेहों शूद्रो वेदश्रुतीमिव[1]. Crime inexpiable, car celui qui sans en avoir reçu la permission, acquiert la connaissance du Véda, est coupable du vol des textes sacrés, स ब्रह्लस्तेयसंयुत्त्को, et descend dans l’enfer[2].

Cependant Jatâyu, le roi des oiseaux, pakshirâja, ayant entendu des lamentations et le bruit d’un char dans les espaces, leva la tête et vit l’enlèvement du râkshasa, reconnut la femme et, révolté de ce rapt, s’élança sur les traces du brigand[3]. Quand il eut coupé le chemin au char, il se plaça devant le ravisseur, se fit connaître et, lui adressant un long discours sur l’immoralité de son action, il l’engagea à rendre Sîtâ à son vertueux époux : « Sinon il t’en arrivera mal aujourd’hui. » Pour toute réponse, Râvaṇa se précipita furieux sur l’honnête oiseau, et un combat terrible s’engagea entre eux. Jatâyu, quoique vieux déjà, fit si bien de son bec, de ses serres et de ses ailes que Râvaṇa se vit tôt avec son arc rompu, son char brisé, son attelage tué et son cocher sans vie, de sorte qu’il lui fallut prendre Sîtâ dans ses bras et sauter à terre. À la vue de cette défaite, tous les êtres, les dieux et les ascètes acclamèrent le roi des vautours en criant : « sadhu ! sadhu ! bien ! bien ! »[4] Malheureusement, l’affaire n’était pas finie.

En effet, Jatâyu, excédé de fatigue par une lutte dans laquelle il avait dépensé toutes les forces de sa vieillesse, Jatâyu ne put éviter que son adversaire qui s’était aperçu de son épuisement, ne le frustrât de sa victoire en s’envolant avec sa pauvre Sîtâ. Il suivit à la vérité le fuyard et s’attacha de si près à ses talons, qu’il put lui faire entendre un beau discours sur l’infamie de ce rapt et sur le châtiment que le forfait lui vaudrait ; mais Râvana s’en moqua et lui répondit avec ironie : « Ne te fatigue pas davantage[5], mon ami.»

Alors Jatâyu, sans prendre conseil de ses forces et après avoir voué le ravisseur au feu de l’enfer, narake ghore dahyamânaḥ, s’abattit sur le dos

  1. Râm., III, 55, 34.
  2. Mânav., II, 116.
  3. Râm., 56, 6.
  4. Ib., ib., 52.
  5. Ib., 57, 16.