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ANNALES DU MUSÉE GUIMET
« ne pas donner », c’est comme si l’on concluait que tel savant allemand ne connaît pas le sens de βαρθάνω, parce qu’il y voit un composé de τίθημι ; que Platon ne savait pas le sens du mot αίσχρόν parce qu’il y voit άεί ίσχοντι τόν ροὔν. Le traducteur moderne, quand il fait usage de la traduction pehlvie, doit faire abstraction de ces étymologies, et lire en dessous le sens réel : elles ne le voilent que quand on les prend au sérieux et qu’on veut y voir la pensée dernière du traducteur, tandis qu’elles ne sont qu’une satisfaction de conscience qu’il donne à ses scrupules, respectables et gênants, d’étymologiste. C’est pourquoi une traduction pehlvie ne doit pas être traduite littéralement, non seulement si l’on veut être intelligible, mais si l’on veut être juste envers le vieux traducteur.
Ni l’incohérence grammaticale, ni les étymologies artificielles ne compromettent donc la valeur et l’utilité des traductions pehlvies, à condition que l’on entre dans l’esprit du traducteur et qu’on ne l’aborde pas avec des préoccupations différentes des siennes. D’ailleurs les gloses nombreuses qui accompagnent souvent ces traductions littérales, sont libres des deux préoccupations qui troublent la clarté de ces traductions ; elles sont écrites dans le style direct et naturel de l’époque et donnent le sens et l’esprit de la phrase.
Cependant ces gloses, qui en général rachètent la traduction, ne sont pas toutes d’égale valeur. La traduction, dans la forme dernière qu’elle a revêtue, n’est point l’œuvre d’un seul homme, ni d’une seule école. Chez les commentateurs de l’Avesta, comme chez leurs prédécesseurs les commentateurs de la Bible, il y a eu souvent lutte entre le sens simple et le sens figuré, entre le Peshat et le Derash. En général, c’est le sens simple et le bon sens qui l’emportent : mais il est impossible que le Derash édifiant n’ait pas eu quelquefois ses triomphes : c’est en général dans la glose qu’il les remporte[1], et alors la traduction reste indemne. C’est au traducteur européen, selon les cas, tantôt à se reconnaître dans la traduction littérale au moyen de la glose, tantôt à se garer des dangers de la glose avec le garde-fou de la traduction littérale. L’orthodoxie, elle aussi, avait souvent
  1. On trouvera un bel exemple de Derash dans la glose des stances 3, 4, 5, 6 du Hâ XLV.