Page:Anonyme - Huon de Bordeaux, chanson de geste.djvu/116

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Sommaire.

qui ont péri dans une tempête ; je me suis sauvé par l’aide de Mahomet. Mais vous-même, qui êtes-vous, et d’où vient votre affliction ? — Frère, on m’appelle Instrument, et les païens ne connaissent pas de meilleur ménestrel que moi. J’avais un seigneur, le meilleur du monde, c’était Gaudisse, le courtois amiral ; il a péri, il y a quelques jours, de la main d’un garçon de France, nommé Huon. Que Dieu le confonde, cet auteur de ma misère ! » — Huon l’entend et baisse la tête. — « Comment t’appelle-t-on ? reprend le jongleur. — J’ai nom Garinet, dit Huon. — Hé bien, Garinet, prends courage. Te voilà bien vêtu, tu es jeune et beau, tu peux encore être heureux ; mais moi, je suis vieux, j’ai la barbe grise et j’ai perdu mon maître. Je m’en vais maintenant à Monbranc, auprès d’Yvorin, frère de lamiral Gaudisse. Si tu veux rester avec moi et porter mon petit bagage, tu peux compter que je ne gagnerai pas un denier sans le partager avec toi. Tu n’iras guère à pied, car il n’est bourg ni cité, pour peu que j’y veuille travailler de mon métier, où tu ne me voies donner tant de manteaux que tu auras grand’peine à les porter. — Par ma foi, dit Huon, vous avez trouvé votre homme. » — Il prend le trousseau du jongleur, le charge sur son dos, ainsi que sa harpe et sa vielle, et tous deux s’acheminent vers Monbranc. Chemin faisant, Huon se prend à pleurer. Il n’a plus, pense-t-il, ni son bon haubert, ni son cor d’ivoire, ni son hanap ; il n’a plus ni son amie, ni ses hommes, ni rien de ce qu’il possédait, et le voici au service d’un pauvre ménestrel ! Mais le vieillard lui rend l’espoir : « Tu es pauvre aujourd’hui, tu seras riche demain. Crois-moi, laisse là tes lamentations. — À votre gré, maître », répond Huon. P. 213-217.